Le projet d’autonomie de Cornelius Castoriadis

Ce texte fait partie d’un ensemble d’extraits de ma thèse que j’ai légèrement remaniés dans le but de partager des résumés des écrits sur les modèles économico-politiques post capitalistes avec un lectorat francophone. Mon autre objectif est d’intégrer ces textes au projet de recherche sur la planification économique démocratique que je démarre avec le CRITS.

La question de la périodisation de l’œuvre de Castoriadis est importante pour l’étude du projet d’autonomie à laquelle nous nous consacrons ici. Or, cette question est sujette à diverses interprétations. Le débat entre ces interprétations tient à l’importance qu’il faut accorder aux deux périodes distinctes qui marquent la vie et l’œuvre de l’auteur[1]. La première, généralement désignée comme étant plus politique, est liée à son engagement au sein du groupe Socialisme ou Barbarieoù il participe à la production d’une série de textes critiques du marxisme d’alors (en particulier du trotskysme d’avec lequel le groupe venait de rompre). Pendant cette période, il participera à l’écriture de quatre textes concernant « le contenu du socialisme » sur lesquels nous nous pencherons avec grande attention. Son départ de Socialisme ou Barbarieinaugure la seconde période, qui serait plus proprement philosophique. Son œuvre prend alors un tournant particulier influencé, entre autres, par la linguistique, la psychanalyse et l’étude de la Grèce antique. Au cours de cette seconde période, il approfondit des notions clés qui nous intéresseront au plus haut point telles que l’autonomie et l’auto-institution.

Une thèse qui soutient qu’il y a rupture entre ces deux périodes réfrènerait notre volonté de lier des textes comme Le contenu du socialisme avec ses écrits ultérieurs[2]. Pour ma part, sans nier l’existence de ces deux périodes distinctes, je considère plus importants les éléments de continuité dans l’œuvre de Castoriadis que les éléments de ruptures. C’est donc dire que dans les prochaines pages nous verrons les avancées et recherches de la seconde période comme venant approfondir le « contenu du socialisme » développé à l’époque de Socialisme ou Barbarie et non comme venant le réfuter.

Ce choix me semble confirmé par Castoriadis lui-même[3] et par des lecteurs critiques de ses œuvres[4]. De plus, certains faits me semblent militer en faveur de l’interprétation de la continuité. Le premier fait est l’intérêt de l’auteur à participer à des republications de ses œuvres de « jeunesse » auxquelles il ajoute préfaces et commentaires.[5] Difficile dans ce cas de parler d’un rejet de son travail passé. On peut également souligner que la première partie de l’Institution imaginaire de la société, qui constitue le texte officiel de la rupture de Castoriadis avec le marxisme et qui serait l’élément qui briserait la continuité de l’œuvre, suggère qu’il est nécessaire de proposer un projet de transformation radicale de la société et que celui-ci soit basé sur l’autogestion ouvrière[6]. Je prends donc Castoriadis au sérieux quand il affirme en 1994, dans un débat avec le Mouvement anti-utilitariste dans les sciences sociales (MAUSS) : « je vous rappelle qu’il y a une description du régime démocratique tel que je l’ai toujours pensé et décrit, depuis Socialisme ou Barbarie, dans le texte qui s’appelle « Sur le contenu du socialisme » »[7]. Cela signifie que sans des signes clairs d’un changement de perspective de sa part, nous considèrerons pour les prochaines pages que le projet d’autonomie « tardif » se construit sur les bases des écrits « de jeunesse » concernant le contenu du socialisme.[8] Cette voie correspond à l’opinion de Pierre Vidal-Naquet selon qui la « célèbre utopie [de Castoriadis] « Sur le contenu du socialisme », publiée en 1955 et 1957 dans Socialisme ou Barbarie[…] se fondait sur l’idéal antique de la transparence démocratique »[9]. Castoriadis ne rejette pas ce projet écrit à la fin des années 1950 pour passer à autre chose, il l’approfondit plutôt en le complexifiant. Bref, « [i]l n’aura en réalité jamais été question pour Castoriadis de renoncer au projet auto-gestionnaire d’une société réellement démocratique »[10].

Or, il est important de souligner qu’à cause de cette périodisation et pour des raisons historiques – Castoriadis est reconnu alors qu’il écrit ses œuvres plus récentes et non à l’époque de la rédaction de ses textes dans Socialisme ou Barbarie – la littérature secondaire, à quelques exceptions près, s’est très peu penchée sur des textes comme Le contenu du socialisme. À l’inverse, les écrits postérieurs (en particulier, l’Institution imaginaire de la société et les divers volumes qui composent Les carrefours du labyrinthe) font l’objet d’abondants commentaires. Il nous faudra immanquablement composer avec ce déséquilibre. Nous commencerons donc par discuter des institutions de l’émancipation proposées par le « jeune » Castoriadis de Socialisme ou Barbarie pour ensuite approfondir certains de leurs principes centraux par le Castoriadis « tardif » et en particulier par son étude de la Grèce antique.

Première période : le contenu du socialisme

Ceux et celles qui ont édité l’anthologie de Socialisme ou Barbarie soulignent l’existence de quatre textes qui proposent de développer le contenu d’un projet de société socialiste, tous rédigés sous l’impulsion de Castoriadis (qui écrivait alors sous les noms d’emprunts Paul Cadran ou Pierre Chaulieu). Un premier court texte, Le programme socialiste[11], tente de marquer une distance avec les propositions centrales des programmes communistes classiques qui mettent l’accent sur la fin de la propriété collective et la planification économique. Selon ce texte, au lieu de mettre l’accent sur un programme d’abord négatif (abolition de la propriété privée et du marché), il faut plutôt développer un programme fondé sur l’expérience positive de l’autogestion des travailleurs et travailleuses.[12] Les deuxième et troisième textes[13] sur la question du contenu du socialisme sont ceux qui nous intéresseront le plus. Ils proposent un « programme » assez détaillé sur ce que devrait être une société socialiste : quelles en sont les éléments de base, comment elle s’organise, etc. Le quatrième texte aborde plus directement la praxis révolutionnaire, la capacité de faire du programme socialiste du programme socialiste une réalité[14]. Cette question, bien qu’importante, n’est pas au cœur de notre réflexion. Au lieu d’aborder les textes un par un, nous passerons plutôt en revue institution par institution sa proposition d’alors. Nous commencerons par la plus cruciale : les conseils.

Dès ses premiers écrits sur la question du contenu du socialisme, nous pouvons voir que Castoriadis s’approche, sans le nommer directement, du concept d’autonomie. Par un enchaînement de liens, il trace le parcours qui relie le socialisme aux conseils ouvriers :

La société socialiste c’est l’organisation par les hommes eux-mêmes de tous les aspects de leurs activités sociales; son instauration entraine donc la suppression immédiate de la division de la société en une classe de dirigeants et une classe d’exécutants.

Le contenu de l’organisation socialiste de la société est tout d’abord la gestion ouvrière. Cette gestion, la classe ouvrière l’a revendiquée et a lutté pour la réaliser aux moments de son action historique : en Russie en 1917-18, en Espagne en 1936, en Hongrie en 1956.

La forme de la gestion ouvrière, l’institution capable de la réaliser, c’est le Conseil des travailleurs de l’entreprise. La gestion ouvrière signifie le pouvoir des Conseils d’entreprise et finalement, à l’échelle de la société entière, l’Assemblée centrale et le Gouvernement des Conseils.[15]

Avant d’aborder la question précise de la forme-conseil dont il est question à la fin de la citation, revenons un instant à la première phrase. En quelques mots (« la société socialiste c’est l’organisation par les [humains] eux-mêmes de tous les aspects de leurs activités sociales »), Castoriadis inscrit déjà dans ses premières œuvres un lien fort avec ce qu’il décrira ensuite comme l’autonomie en s’inspirant de la définition qu’aurait pu en donner un Athénien de l’époque antique, soit faire soi-même ses propres lois[16]. Mais la distinction entre les deux formulations dénote déjà un espace, sur lequel nous reviendrons, entre un intérêt marqué pour l’économie chez le « jeune » Castoriadis et un intérêt marqué pour le politique chez le Castoriadis « tardif ».

Concentrons-nous cependant, pour l’instant, sur la question de la forme-conseil telle que présentée ici. Que sont donc ces conseils qui sont selon Castoriadis le fondement, l’unité de base, de la société socialiste? Il s’agit du rassemblement en un espace de décision démocratique de l’ensemble des gens réunis sur un lieu de travail (usine ou entreprise). La direction de chaque lieu de travail reviendrait à ceux et celles qui y travaillent.[17] Castoriadis propose la création de deux organes dans chaque milieu de travail : un Conseil et une Assemblée générale. Le premier est composé de délégué-es élu-es (au nombre d’environ 0,5% du total de travailleurs et travailleuses), révocables à tout instant. Ces délégué-es gèrent le quotidien de l’organisation du travail en se rencontrant relativement fréquemment en fonction des besoins. Ils demeurent au sein de la production pour ne pas se détacher de la réalité du travail. Les comptes-rendus de leurs séances et délibération sont évidemment publics. L’Assemblée générale, quant à elle, regroupe l’ensemble des travailleurs et travailleuses. Elle symbolise « la restauration de la démocratie directe, dans le cadre naturel du monde moderne, l’entreprise comme unité sociale de base »[18]. Elle détient le pouvoir décisionnel suprême : elle ratifie ou infirme toutes les décisions prises en Conseil et décide par elle-même des questions plus générales sur lesquelles elle doit se pencher. Elle se rencontre suivant une régularité donnée (un certain nombre de jours par mois, par exemple) et peut être appelée suivant une demande extraordinaire d’un nombre donné de travailleurs et travailleuses [19].

Les mots utilisés par Castoriadis sont très clairs, il s’agit d’une démocratie directe. Les travailleurs et travailleuses gèrent et dirigent leur milieu de travail sans une hiérarchie autre que celle, temporaire et révocable, dont ils décident les termes. C’est l’Assemblée générale qui prend les décisions importantes et, dans cette assemblée, personne n’est refusé, tous et toutes ont le droit de parole et de vote. Cependant, ce qu’il faut bien comprendre, c’est que cette unité de base ne sert pasqu’à prendre des décisions internes aux entreprises, c’est aussi le fondement de l’ensemble de la prise de décision sociale, tant sur les plans économique, politique ou culturel. Il s’agit de l’unité de base du système social tout entier[20].

La démocratie n’est donc pas seulement affaire de droit politique pour Castoriadis, rendre les gens esclaves au travail toute l’année pour leur accorder le droit de voter un seul jour[21], ce n’est pas la démocratie. Comme le souligne Caumière et Tomès, soumettre le peuple à la logique productive dont le fonctionnement est étranger à sa prise de décision collective et le prétendre libre est une aporie évidente.[22] Castoriadis veut clairement s’en distinguer. Cela nous permet de répondre à la première question qui surgit à la lecture de sa proposition : pourquoi le lieu de travail plutôt que, par exemple, le lieu de résidence? En plus d’être un lieu exempt de démocratie, pour le jeune Castoriadis d’alors, le lieu de travail est, dans nos sociétés le lieu « où les hommes, par centaines, par milliers ou par dizaines de milliers, passent l’essentiel de leur vie attelés à une tâche commune, où ils rencontrent la société sous sa forme concrète. L’entreprise n’est pas simplement une unité de production, elle est devenue l’unité primaire de vie sociale de la grande majorité des individus. »[23] La démocratie doit donc s’adapter à la transformation vécue par la société en raison de l’industrialisation, les usines sont – alors – au cœur de nos vies individuelles et collectives, c’est là que doivent se prendre les décisions politiques et économiques. L’inspiration marxiste est ici évidente, la production[24] est ce qui donne accès la « forme concrète » de la société. C’est là que le monde se construit. En somme, sans ce travail réalisé en commun, la société comme tel n’aurait pas l’allure physique et sociale qu’elle a en ce moment. La production et son organisation font tant les meubles et les édifices qui nous entourent que ce qui nous place dans des rapports hiérarchiques les uns et les unes face aux autres. Pour le jeune Castoriadis, c’est indéniablement dans les mains de ceux et celles qui fabriquent le monde qu’il faut placer la responsabilité de la prise de décision.

Bien conscient de son époque et des débats qui l’occupent, Castoriadis sait que cette adhésion au modèle conseilliste est, en soi, insuffisante et sujette à critiques. La première de ces critiques étant, évidemment, celle qui souligne que l’organisation révolutionnaire, à la lumière des résultats de la révolution russe, était justement fondée sur le modèle des conseils (les soviets) et que ce modèle n’a pas empêché le centralisme et l’autoritarisme désastreux que l’on sait et dont Socialisme et Barbarie fait la critique par ailleurs. Castoriadis répond par avance à cette critique en notant qu’il faudra immanquablement s’organiser pour que le pouvoir reste aux mains des conseils et que les représentant-es élu-es à d’autres instances (sur lesquelles nous reviendrons sous peu) demeurent révocables en tout temps et dépositaires de mandats clairs. « Les meilleurs statuts valent que pour autant que les hommes sont constamment prêts à défendre ce qu’ils contiennent de sain, à suppléer à ce qui y manque, à changer ce point de vue, tout fétichisme de la forme « soviétique » ou de la forme « Conseil » est évidemment à condamner. »[25]

Du même souffle, il ajoute que cette forme d’organisation conseilliste ne doit pas être une décentralisation totale dans laquelle personne n’est redevable et où il n’y aucun lieu central où des décisions plus générales peuvent être prises. C’est ainsi qu’il condamne le « fétichisme anarchiste ou spontanéiste qui, sous prétexte que finalement la conscience du prolétariat décide de tout, se désintéresse des formes d’organisation concrètes que cette conscience doit utiliser si elle veut être socialement efficace »[26]. Une fois les conseils mis en place tout ne sera pas réglé parce que le prolétariat pourra enfin s’exprimer. Il faudra apprendre à y travailler, il faudra voir laquelle des volontés on veut accomplir, il y aura débats et désaccords : c’est le lieu adéquat pour avoir ces débats, mais il faut encore savoir se plier à ses normes[27]. Cette critique du spontanéisme et d’un certain anarchisme revient périodiquement dans l’œuvre de Castoriadis qui considère que le conseillisme simpliste tend à faire comme si la société émancipée n’aurait à s’occuper que des débats entourant la gestion quotidienne de l’économie en ne concevant aucun espace de débats sur les orientations générales de la société elle-même.[28]

Pour Castoriadis donc, l’organisation en conseils est intéressante, d’une part, pour sa structure démocratique et horizontale et, d’autre part, parce qu’elle met le pouvoir de décision à l’endroit même de la production. Ainsi, elle ne sépare pas le monde entre propriétaires et travailleurs ni entre dirigeant-es et exécutant-es. Ceux et celles qui font le monde choisissent ensemble comment le faire. Cependant, comme nous l’avons vu, Castoriadis ne nie pas la nécessité d’avoir une organisation sociale structurée où certains pouvoirs peuvent être délégués. En effet, pour prendre des décisions qui touchent toute la société, il faut pouvoir discuter et échanger dans des espaces plus restreints où il est possible d’aller plus en profondeur qu’en grand groupe. Cependant, Castoriadis est conscient du piège qui se dissimule derrière la délégation: la concentration du pouvoir au sein des organes centraux et, éventuellement, la création d’une caste de bureaucrates qui – en prétendant parler au nom du peuple – dirige en fait l’État selon une logique d’accumulation et de domination[29]. « Mais dans la société socialiste, il n’y aura pas de conflit entre l’autonomie des organismes de base et la centralisation, dans la mesure où les deux fonctions découleront des mêmes organes, où il n’y aura pas d’appareil séparé chargé de réunifier la société après l’avoir fragmentée – et il faut rappeler que c’est cette tâche absurde qui forme la « fonction » de la bureaucratie. »[30]

Pour réaliser cette centralisation tout en conservant l’autonomie des unités de base, Castoriadis développe deux institutions qui s’ajoutent aux conseils eux-mêmes : l’Assemblée centrale et le Gouvernement des conseils. On peut établir un parallèle entre le fonctionnement de ces institutions et celui des conseils présentés ci-dessus. L’Assemblée centrale est composée de délégué-es élu-es par les assemblées générales des conseils d’usine ou d’entreprise. Ces délégué-es sont révocables à tout instant et ne sortent pas de la production, leurs fonctions de délégué-es ne les occupent donc pas à temps plein et ils continuent à exercer leur métier comme le reste de la population. Ils se réunissent en session plénière aussi souvent que nécessaire (une à deux journées par semaine propose Castoriadis) et rendent mensuellement des comptes aux assemblées qui les ont élus et qui peuvent les démettre. Les débats de cette assemblée devraient être télédiffusés et facilement accessibles[31]. Le Gouvernement des conseils, quant à lui, est composé de membres de l’Assemblée centrale que cette dernière élit et peut révoquer à tout instant, qui ont pour fonction de préparer les discussions de l’Assemblée, de rassembler l’information nécessaire et de la rendre disponible à toute la population et, dans une situation de grande urgence, de prendre des décisions entre deux séances de l’Assemblée centrale[32]. Le modèle des conseils est donc un modèle de gouvernement confédéral, sa base est composée de très petites unités qui s’assemblent pour atteindre des buts communs, mais qui gardent le pouvoir quant aux décisions finales.

Un des rôles primordiaux du Gouvernement des conseils est de diffuser toute l’information nécessaire, sous une forme accessible, à l’ensemble de la population pour qu’elle prenne ses décisions en connaissance de cause. Ce thème, récurrent dans Le contenu du socialisme, est crucial pour Castoriadis[33]. Dans le système capitaliste, il est impossible de faire des choix en connaissant les conséquences de ceux-ci sur la société dans laquelle on évolue[34]. Pour Castoriadis, le socialisme est donc le choix libre et conscient de la manière par laquelle nous produisons le monde[35]. Ce partage d’information est l’un des deux outils majeurs sont utilisés pour éviter les dérives centralistes ou autoritaires. La diffusion des débats de l’Assemblée centrale et du Gouvernement des conseils vise justement à ce que ce travail se fasse de manière transparente[36]. Pour Castoriadis, la gestion ouvrière n’a rien à voir avec la supervision ou la surveillance d’une direction par les travailleurs et travailleuses (comme la logique du bureaucratisme et celle de la démocratie représentative tendent à favoriser). « C’est la suppression de l’appareil de direction séparé, la restitution de ses fonctions à la communauté des travailleurs. Le Conseil d’entreprise n’est pas un nouvel appareil de direction; il n’est qu’une des instances de coordination, une « permanence » et le lieu régulateur des contacts de l’entreprise avec l’extérieur. »[37] Pour lui cette transition modifie la nature même du travail, où les principes de direction et d’exécution sont liés. Cette fin de la division entre exécution et direction – faisant écho à sa critique de la bureaucratie – et l’unité de l’assemblée qui la remplace est au cœur du concept de démocratie proposé par Castoriadis. Il est intéressant de noter que c’est donc très tôt que se révèle dans la pensée de Castoriadis cette unité de l’assemblée qui deviendra plus tard unité du dèmos et qui sera un des éléments de différenciation important entre lui et Claude Lefort, un de ses anciens camarades de Socialisme ou Barbarie – différenciation sur laquelle nous reviendrons dans le deuxième chapitre.

Le second outil pour éviter la centralisation est un ensemble de règles imposées à la délégation :

  • Les délégué-es doivent être révocables en tout temps;
  • Ils doivent demeurer des travailleurs et travailleuses à part entière et ne pas quitter la production pour devenir des professionnels du politique;
  • Ils doivent faire rapport très régulièrement, être entièrement transparents et partager toute l’information obtenue et les débats effectués;
  • La prise de décision finale doit demeurer entre les mains des assemblées de chaque entreprise ou usine.[38]

Une fois ces principes de gouvernement établis, Castoriadis reste toujours aux prises avec l’épineuse question de la planification économique. Même avec toute l’information disponible, comment des délégué-es à temps partiel et des travailleurs et travailleuses réuni-es en assemblée pourraient-ils planifier une économie au complet? Il a besoin de mettre en place une institution supplémentaire : l’usine du plan.

La tâche imposante que peut représenter la planification de l’économie doit donc être prise en charge par un groupe de travailleurs et travailleuses doté-es des meilleurs outils. Celui-ci a pour objectif de « bâtir des plans en série », d’où le nom « d’usine du plan » que porte leur milieu de travail. Son travail est de présenter les conséquences des différentes possibilités dont les instances politiques souhaitent envisager la réalisation. « Qu’adviendrait-il au nombre de chandails produits si le secteur du textile travaillait 5% moins d’heures? » « Quelle serait la conséquence sur l’industrie de l’acier si nous voulions produire 2000 réfrigérateurs de plus? » Voilà le type de questions auxquelles l’usine du plan souhaite répondre : « le rôle de l’usine du plan ne sera évidemment pas de décider du plan. […] Le rôle de l’usine du plan sera : avant l’adoption du plan, de calculer et de présenter à la société les implications et les conséquences du plan ou des plans proposés » [39]. Une fois le plan adopté, l’usine révise les données et l’adapte à la situation. Elle propose aux instances politiques des changements à effectuer au plan en fonction des fluctuations de la situation. Elle ne prend aucune décision de nature politique, sauf en ce qui concerne la gestion de son propre travail [40]. Pour avancer la faisabilité de cette thèse, en 1957, Castoriadis affirme déjà que les ordinateurs à bandes magnétiques permettaient de stocker suffisamment d’informations pour contenir une bonne partie des données nécessaires à la planification d’une économie[41]. Ce lieu de travail, comme les autres, présente donc à la population les différentes alternatives de production et de consommation vers lesquelles elle pourrait se diriger.

Mais jusqu’où va la planification de la consommation? Jusqu’où s’ingère-t-elle dans notre vie? Castoriadis défend un modèle où un niveau général de consommation est choisi collectivement, mais où les produits de consommation de base sont choisis à partir d’un marché dont le principe serait la souveraineté individuelle du consommateur. Il serait absurde de prendre des décisions majoritaires sur les couleurs de chaussettes ou les légumes que chacun-e préfère. De toute façon, si une majorité de gens préfère les brocolis et une minorité aime les champignons, rien n’empêche de faire pousser les deux en des quantités différentes. Là-dessus le marché offre, selon le « jeune » Castoriadis, une capacité d’adaptation plus intéressante que la planification, aussi raffinée puisse-t-elle être[42].

Ainsi, à travers l’usine du plan la société définira ce qui doit être « consommé » par les services publics, ce qui doit être réinvesti dans l’amélioration des forces productives et ce qui doit être laissé à la consommation individuelle. Les préférences des consommateurs s’y exprimeront à travers un marché d’un type distinct de ceux qu’on connaît dans le capitalisme. Castoriadis n’aborde son fonctionnement qu’une fois dans toute son œuvre et de façon suffisamment brève pour qu’il vaille la peine de le citer de façon extensive :

Comment fonctionnera ce marché, comment s’y réalisera l’adaptation réciproque de l’offre et de la demande?

Il y a d’abord une condition d’équilibre global: l’ensemble des revenus distribués (salaires, retraites, etc.) devra être égal à la valeur (quantités X prix) des biens de consommation offerts au cours de la période.

Une première décision « empirique » devra être prise pour commencer sur la structure de la consommation. Elle s’appuiera sur les régularités statistiques traditionnellement « connues », en les corrigeant pour tenir compte de l’effet des facteurs nouveaux (égalisation des revenus, par exemple). Elle devra prévoir également la constitution de stocks plus élevés que ceux qui sont « techniquement » nécessaires.

Les écarts possibles du déroulement réel de la consommation par rapport aux prévisions rencontreront trois « amortisseurs » ou processus de correction successifs:

  1. a) variation des stocks,
  2. b) hausse (ou baisse, en cas de déficit de la demande) du prix de la marchandise considérée aussi longtemps que les stocks continuent à baisser (ou à s’accumuler) avec explication au public de la raison de cette modification des prix,
  3. c) entre-temps, rajustement de la structure de la production des biens de consommation, jusqu’au point où le flux de production devient égal (après reconstitution de stocks normaux) au flux de la demande. A ce moment-là, le prix de vente est ramené au prix normal.

Étant donné le principe de la souveraineté des consommateurs, l’écart entre demande réelle et production prévue doit être corrigé non pas par l’instauration d’une différence permanente entre prix de vente et prix normal, mais par la modification de la structure de la production. En effet, un tel écart signifie ipso facto que la décision de planification était erronée dans ce domaine.[43]

De la même façon que Castoriadis refuse l’idée selon laquelle les dirigeants d’entreprises savent mieux comment le travail doit être organisé que ceux et celles qui l’exécutent, il refuse l’idée qu’il existerait une telle chose que la planification juste de la consommation des autres, c’est pourquoi il propose un socialisme où un espace de marché existe dans le but de laisser les gens libres de leurs choix de consommation personnelle[44]. Par contre, pour assurer l’égalité entre tous et toutes, Castoriadis affirme que tous les salaires devront être égaux, le temps de l’un-e valant bien celui de l’autre. De plus, cela aura l’avantage de simplifier l’organisation du travail comme un nombre important de conflits s’en trouveront automatiquement résolus[45]. Ce marché devra aussi avoir comme médium d’échange une monnaie qui ne permet pas d’être accumulée[46]. Le marché perdure dans le socialisme du « jeune » Castoriadis, mais dans une version très limitée et encadrée par la planification qui balise l’ensemble de l’économie. Les questions qui sont au cœur du processus de planification et sur lesquelles se centre le débat autour de la planification sont la durée du travail, le niveau de consommation individuelle, la nature de la consommation publique, la nature des investissements dans les structures productives et les tâches que chaque lieu de travail devra réaliser[47]. Une fois les décisions prises sur ces questions, le reste de l’organisation économique découle de façon presque automatique, selon Castoriadis qui se fonde sur les travaux de l’économiste Wassily Léontief dont les matrices nous permettent de connaître les conséquences d’un changement de production dans une branche industrielle sur les autres branches liées à ses intrants ou extrants[48]. Quand il est adopté, le plan ne domine pas la société. Il est le point de départ, modifiable, altérable en fonction des circonstances. Comme Castoriadis n’adhère pas à l’idée d’une technique qui permettrait de connaître scientifiquement la nature de notre société, il n’est jamais possible de la planifier de façon définitive. Ainsi, le plan doit rester dynamique comme la société dont il est le reflet[49].

Takis Fotopoulos est probablement l’un de seuls auteurs à avoir fourni une critique de cette organisation économique et à en avoir soulevé les contradictions inhérentes[50]. L’adhésion au marché crée inévitablement des inégalités entre les différent-es participant-es. Castoriadis tente de résoudre ces inégalités en imposant l’égalité des salaires. Cela pose deux poblèmes : d’abord, celui de laisser intactes les impulsions de croissance économique et de productivisme induites par le marché – et que Castoriadis se propose de limiter par une intervention macro-économique, analogue, en fin de compte, à la sociale-démocratie keynésienne. Ensuite, cela ne résout pas les inégalités inhérentes à la réalisation du travail lui-même : certains emplois sont plus satisfaisants que d’autres, certains sont plus risqués ou difficiles que d’autres. La seule égalité des salaires pourrait bien causer plus de problèmes qu’elle n’en effacerait prévient Fotopoulos.[51]

Enfin, très rapidement, Castoriadis évoque – plus qu’il ne décrit – un système militaire et un système judiciaire. En deux paragraphes qui se suivent, il nous apprend que le socialisme armera le peuple directement (plutôt qu’entretenir une armée professionnelle) et laissera la gestion de la justice à des conseils ouvriers.[52] Nous nous priverons d’étudier ces éléments de grande importance car, à peine esquissés, ils sont abandonnés par l’auteur. Comme nous le verrons, Castoriadis se penchera sur la justice à quelques reprises dans ses ouvrages tardifs. Par contre, je n’ai pu trouver de remarques postérieures sur la question d’une vision positive d’une organisation militaire.

Les écrits sur le contenu du socialisme rédigés à la fin des années 1950 par Castoriadis mettent de l’avant une proposition assez claire de ce à quoi pourrait ressembler la société émancipée. Ses institutions de base seraient les conseils ouvriers qui fonctionneraient par une délégation limitée et encadrée par des règles strictes et laissant le dernier mot aux instances locales. La majeure partie de l’économie serait planifiée, mais les préférences de consommation individuelles s’exprimeraient à travers un marché balisé où l’accumulation serait impossible.

Seconde période : le projet d’autonomie

Les années qui suivent l’exposition de cette proposition sur Le contenu du socialisme verront les intérêts de Castoriadis migrer vers des questions plus proprement « philosophiques », tant dans le contenu que dans la forme et le ton que prendront alors ses écrits. La publication de L’institution imaginaire de la société en 1975 inaugure cette période. Rappelons que, suivant les indications de Castoriadis et de nombre de ses commentateurs, nous considérons cette période non pas comme un changement de cap de l’auteur, mais bien comme un approfondissement du projet d’autonomie dont les fondements ont été jetés dans Le contenu du socialisme. En somme, Castoriadis avait donné dans ce premier travail une idée approximative de ce que serait pour lui un projet émancipateur, il se penche désormais sur les tensions et problèmes inhérents à ce projet. Dans les prochains paragraphes, il ne sera pas question d’aborder tous les sujets que Castoriadis a traité au cours de cette seconde période : ils sont évidemment trop nombreux, allant de la psychanalyse à l’étude des sociétés antiques en passant par la linguistique. Gardons plutôt le cap sur notre objectif et concentrons-nous sur les concepts qui peuvent servir ici à transformer son projet de société socialiste. On en repère trois au sein de l’œuvre : l’auto-institution, l’autonomie et l’autolimitation.

Le concept d’auto-institution se fonde d’abord sur le constat que les sociétés humaines ont généralement prétendu que leur propre institution leur était extérieure, qu’elle était une donnée avec laquelle les humains membres de ces sociétés devaient vivre. Non seulement la façon dont ces sociétés étaient instituées, mais aussi les institutions (sociales, religieuses, judiciaires, économiques, politiques, etc.) qui les composaient, provenaient d’un ordre approuvé ailleurs qu’en leur sein. Souvent, la religion jouait le rôle essentiel de cette injection de sens instituant la société. Ainsi, telle société existe puisqu’elle rassemble le peuple élu par un dieu tout puissant. De la même manière, si un roi a le pouvoir dans une société, c’est parce que le dieu en question l’a voulu ainsi. La même logique de pouvoir hétéronome et exogène se reproduit pour expliquer la hiérarchie à l’intérieur de la famille ou de la cour de justice[53].

Le concept d’auto-institution permet, dans un premier temps, d’affirmer que malgré leurs prétentions, ces sociétés ne sont pas réellement instituées de l’extérieur. Ce sont bel et bien des humains qui professent les dogmes des religions et qui leur accordent du crédit, ce sont eux qui mettent en place des traditions et les font perdurer. Les sociétés humaines ne sont ainsi jamais instituées par quelque chose qui est extérieur aux humains qui la composent[54]. Toutefois, dès que nous avons dit cela, il est immédiatement nécessaire d’ajouter que peu importe la justesse de cette affirmation, le fait que les humains soient persuadés que leur société est gouvernée par des règles qui leur sont extérieures est suffisant pour qu’elle le devienne effectivement. Comme tout le monde agit en fonction de ces normes communes issues d’une origine fantasmée, elles deviennent les normes et les institutions effectives de cette société[55].

Ce constat, Castoriadis le partage avec Feuerbach et le jeune Marx dans leur critique de la religion et de l’idéalisme abstrait. Par contre, l’explication de Castoriadis sur les origines de la religion et de l’hétéronomie en général diffère grandement. Alors que Marx situe les formations sociales comme la traduction organisationnelle des besoins fondamentaux objectifs des humains, Castoriadis les voit comme le produit des significations imaginaires sociales. Ces significations imaginaires sociales, c’est ce que les membres de la société considèrent comme des faits. Cela inclut souvent, bien entendu, des besoins de base comme boire de l’eau et se nourrir, mais aussi des phénomènes, explications et histoires qui dans le cadre d’une société donnée ont pris une importance déterminante, peu importe qu’elles soient vraies ou non. Ce ne sont pas donc pas les besoins objectifs dans leur forme « pure » qui créent les institutions sociales, mais bien nos façons de concevoir, interpréter et prioriser ce que nous considérons comme des besoins, des faits et des corrélations. Si ces significations imaginaires sociales sont construites en relation avec la nature, la rationalité et l’histoire, elles ne peuvent en être directement déduites. Ainsi, la religion, la hiérarchie sociale ou l’organisation économique ne sont pas le reflet de la réalité objective du monde, mais bien de la manière dont la collectivité comprend le monde – à travers des symboles, des expériences communes, des moments fondateurs[56].

L’ontologie de la société pour Castoriadis comprend donc une part essentielle réservée à la création. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard : l’attention qu’il porte à l’auto-organisation de travailleurs et travailleuses – et en particulier de la révolution auto-gestionnaire de Budapest en 1956 – au sein de Socialisme ou Barbarie témoigne déjà d’une grande sensibilité à l’égard de la capacité créative des humains[57].  L’organisation sociale, les lois, bref, le nomos, se déploie d’une façon spécifique à chaque société à cause justement de cet espace particulier de création. Or, le nomos évolue dans le temps, le rapport entre les conditions sociales, environnementales, politiques – qui trace le contour de la société – se transforme lui aussi[58]. Castoriadis nomme « social-historique » l’évolution du rapport entre les conditions matérielles des sociétés et les significations imaginaires sociales. Le social-historique, c’est donc à la fois les formes changeantes que prennent les sociétés à travers l’Histoire, mais aussi le poids de ces formes passées sur les sociétés à venir. Ce poids est constamment contrebalancé par la création humaine, ce qui fait que le social-historique est à la fois agir et signification; il est l’impression du passé sur le présent, mais aussi la transformation de la société par son entrée dans l’histoire[59].

Donc les institutions[60] humaines qui sont le substrat du social-historique sont effectivement porteuses du passé de domination et d’oppression de la société, mais on ne peut pour autant s’en débarrasser en faisant du passé table rase. Pour Castoriadis, cette tentation de mettre fin aux institutions existantes méconnaît à la fois notre rapport en partie inconscient aux institutions et leur caractère double qui n’est pas réductible à l’aliénation et à la domination. « Aucun faire humain n’est non conscient; mais aucun ne pourrait continuer une seconde si on lui posait l’exigence d’un savoir exhaustif préalable, d’une élucidation totale de son objet et de son mode d’opérer. »[61] Les institutions sont cette mémoire commune, ce bagage du fonctionnement social dont nous n’avons pas besoin d’être entièrement conscient, mais qui nous permet de fonctionner en société. La création ne se fait entièrement consciemment, pas plus que la participation à des d’institutions complexes, comme le langage ou la famille : elles font partie d’un processus comprenant des réflexes et des pensées héritées du passé. On ne peut donc pas tout simplement se libérer des institutions en les éliminant volontairement[62].

De plus, pour Castoriadis la nature des institutions est double. D’un côté, elles affichent un caractère ensembliste-identitaire. Si on prend l’exemple de l’institution langagière, ce caractère serait le langage comme code, celui qui permet à la fois les communications sociales et l’activité sociale. Pourquoi les termes « ensembliste » et « identitaire » pour qualifier ce premier visage de l’institution? Identitaire, d’une part, car pour qu’une institution fonctionne adéquatement elle doit permettre que certains éléments (pour continuer avec l’exemple de la langue, le signifiant « cheval ») soit identifiés à d’autres (le signifié : l’idée du cheval ou le référent : ce cheval spécifique). L’aspect identitaire permet une continuité et une stabilité dont les institutions ont besoin pour fonctionner. Par ensembliste, d’autre part, Castoriadis entend la capacité d’intégrer certains objets à des ensembles plus grands, par exemple, le mot « pomme » peut être mise dans l’ensemble « fruits »[63]. Donc, le caractère ensembliste-identitaire des institutions est ce qui assure leur caractère stable et compréhensible. Évidemment, c’est aussi par ce caractère qu’elles dévoilent leur côté immuable et potentiellement oppressant. Mais la nature ensembliste-identitaire n’épuise pas les possibilités des institutions[64].

Castoriadis affirme qu’existe également un caractère radicalement imaginaire aux institutions à cause de l’arbitraire des relations qui s’y établissent entre leurs différents termes. Continuons avec l’exemple de la langue : pourquoi l’assemblage précis des lettres qui forment le mot « pomme » désigne ce fruit? Même si on remonte le cours de la généalogie, force est d’admettre qu’il existe une part d’arbitraire dans l’assemblage des sons qui forment les mots. Donc le lien entre les différents syntagmes peut varier sans cesse, c’est ici que Castoriadis situe l’espace radicalement imaginaire que permettent les institutions. Nous pouvons établir des connexions différentes : le code ne recouvre jamais entièrement la langue[65]. Ainsi, dans l’usage quotidien des institutions se dégage un espace de jeu, les différentes réalités existantes se recomposent à partir de nouvelles circonstances, face à de nouveaux sujets et dans des contextes inconnus jusqu’alors. Cette recomposition des équivalences ne se fait évidemment pas in abstracto, sans lien aucun avec la partie ensembliste-identitaire. Cette dernière maintient le reste de l’institution intacte, ce qui permet que la création dans l’espace de jeu laissé ouvert par l’imaginaire radical prenne sens[66]. Autrement, si tous les paramètres de l’institution étaient changés d’un coup, la transformation serait incompréhensible pour les sujets à l’intérieur de l’institution – pensons par exemple à une soudaine interversion de l’ensemble des mots du langage qui prendraient, du jour au lendemain, d’autres signifiés : cette transformation détruirait l’institution du même coup.

L’institution chez Castoriadis a donc une nature double : rigide et signifiante, mais aussi créative et éthérée. Pour évoquer l’assemblage des significations qui forment l’imaginaire d’une société ou d’un individu, il utilise la métaphore du magma. Résistant à la détermination ensembliste-identitaire, le magma est le lieu où sont justement créés les ensembles par le croisement des différentes significations imaginaires[67]. Castoriadis reprend ainsi une tension chère aux Grecs qui veut que les humains ne sont ni chaos ni cosmos, mais toujours dans un rapport de transformation de l’un par l’autre[68]. Les sujets qui traversent l’institution ne sont donc pas entièrement dominés par elle, mais elle n’est pas non plus l’objet de certains sujets qui la contrôle de part en part. Les institutions peuvent donc être source d’aliénation, car elles imposent un contenu spécifique qui est porteur des résidus de l’histoire : domination, division de classe, pouvoir, etc.[69] Elles sont cependant aussi sources d’émancipation en ce sens qu’elles sont intimement liées au mode d’être profondément social des humains. Sans les institutions, il est impossible pour les humains de se penser individuellement et collectivement et donc de transformer leur réalité sociale. Enfin, comme elles sont appuyées sur un magma de significations imaginaires qui résistent à leur complète détermination selon un ordre logique prédéterminé, les institutions sont donc aussi mouvantes et en transformation[70].

Dans ses travaux, Suzy Adams montre que ce rapport entre création et inscription se transpose aussi dans l’ontologie naturelle chez le Castoriadis « tardif ». Partant d’un intérêt pour les humains dans la cité, le philosophe a dû reconnaître leur parenté avec les roches et les arbres[71] et donc constater la présence d’un élément de création inhérent à la nature elle-même. Partant de l’idée que certaines significations imaginaires sociales reposent sur la nature – la phusis –Castoriadis finit par s’interroger sur les mouvements qui sont propres à la nature, qui sont indépendants de l’influence humaine. Dans un dialogue d’une vingtaine d’années avec le biologiste chilien Francisco Varela, Castoriadis développe une compréhension de la nature comme une poussée qui « tendrait à se donner la forme la plus parfaite ou (peut-être) la plus complexe possible »[72]. Ainsi, la phusis contient le principe de création de la forme dans laquelle les êtres vivants évoluent[73]. Ces derniers sont conçus comme des êtres pour-soi qui se considèrent comme leur propre fin et qui créent le monde qui les entoure[74]. Cela ne signifie pas qu’ils sont autonomes – un terme que Castoriadis réserve aux humains et à leur capacité politique, comme nous le verrons ci-dessous[75] –, mais cela rend plus complexe le rapport des humains à leur institution. Celle-ci se réalise dans un contexte mouvant d’autopoiésis de la phusis qui tend vers une complexité de plus en plus grande et en rapport avec d’autres êtres pour-soi qui créent leur propre monde.

Que peut vouloir dire, avec cette vision de l’institution, la notion d’auto-institution? C’est en premier lieu la prise de conscience, sociale et généralisée, de la plasticité relative des institutions sociales et de leur origine humaine et imaginaire. Elle commence donc à partir du moment où il est possible de prendre conscience du caractère humain des institutions tout en conservant en tête leur caractère supra-individuel[76]. C’est pour cette raison que la Grèce antique joue un rôle important dans la pensée de l’auto-institution chez Castoriadis. À partir du moment où la philosophie apparaît et qu’il est possible d’avoir une réflexion sur ce qui fait la réalité sociale humaine en dehors d’un rapport au supranaturel forcément hétéronome[77]. L’auto-institution est donc un fait indépassable des sociétés humaines, mais ce fait fondamental est occulté par les principes hétéronomes au centre des religions, systèmes de croyance, lois de l’histoire, lois du marché, etc. Toutefois, comme nous l’avons vu, auto-institution ne signifie pas institution immédiate, transparente et volontaire de la société par les humains. Même si la société est auto-instituée, elle s’inscrit dans l’histoire[78].

Par ailleurs, si les sociétés sont forcément auto-instituées, cela ne signifie donc pas que leur auto-institution est consciente. La réalisation volontaire de l’auto-institution, c’est l’autonomie. Auto nomos, établir soi-même ses propres lois. Non pas de façon individuelle, mais dans la participation au social. « Liberté sous la loi – autonomie – signifie participation à la position de la loi. C’est une tautologie de dire que cette participation ne réalise la liberté que si elle est également possible pour tous, non pas dans la lettre de la loi, mais dans l’effectivité sociale. » [79] L’autonomie est donc le lieu où se rejoignent l’égalité et la liberté. Tout le monde a l’égale possibilité de participer librement à la construction de la loi selon ses propres vues, autrement on ne peut se dire réellement libre (car quelqu’un d’autre a décidé à notre place ce que devait être la loi).

L’autonomie ne se crée pas que dans l’agencement d’institutions de prise de décision commune, mais dans la mise en place d’une société où la construction à la fois du social et des individualités qui l’habitent est un processus dont le social prend progressivement conscience[80]. Une des institutions nécessaires à cette prise de conscience est la paideia. La paideia est une éducation à la vie civique qui se propose de rendre les différents individus prêts à intégrer les institutions, à bien les connaître et à en faire bon usage. Il s’agit donc d’un apprentissage de l’exercice de la liberté au sein des institutions qui incorpore la notion de transformations des institutions. En effet, la paideia instruit sur capacité de transformer les institutions et les moyens d’y parvenir[81].

Les « procédures démocratiques » ne sont pour Castoriadis qu’une part de ce qui constitue le régime démocratique. Vu dans son entièreté, le régime démocratique est plutôt l’aboutissement de la paideia, dont la démocratie directe ou le vote ne sont que des instruments, « les pièces d’un processus politique éducatif, d’une paideia active, visant à exercer, donc à développer chez tous les capacités correspondantes et par là à rendre aussi proche que possible de la réalité effective le postulat de l’égalité politique »[82]. Ainsi, contrairement à Habermas, Castoriadis soutient que la démocratie n’est pas qu’un processus décisionnel dont il faudrait huiler adéquatement les mécanismes communicationnels, mais bien un régime politique au sens fort du terme[83]. L’autonomie est donc fortement liée à la démocratie chez Castoriadis. Cependant, on voit tout de suite qu’il ne s’agit pas de la démocratie acceptée dans le sens contemporain du terme, qui signifie en fait le gouvernement représentatif[84]. Il s’agit plutôt d’une démocratie comme l’entendent les Grecs anciens et comme nous l’entendons tout au long des présentes pages.

Dans un texte où il présente la polis grecque comme germe de la démocratie, Castoriadis soutient que l’autonomie se fonde sur trois refus : celui de la représentation, celui de l’expertise politique et le refus de l’État comme instance séparée de la politique.[85]

Le refus de la représentation n’est pas refus de toute délégation, comme nous l’avons vu plus tôt. Le lien entre le Castoriadis « jeune » et le Castoriadis « tardif » devient évident tant il reprend les mêmes positions que celles présentées dans Le contenu du socialisme. Le refus de la représentation signifie le refus de laisser ceux et celles qui reçoivent des pouvoirs de délégation prendre, sans consultation ou conséquence, des décisions au nom des autres. D’où le maintien de l’idée nécessaire de révocabilité en tout temps. Autrement, l’activité politique – « la » politique – ne devient plus l’affaire des citoyen-nes comme le prétend par son nom même la démocratie, elle devient plutôt le privilège d’un nombre restreint de gens qui y exercent leur pouvoir et leur autorité[86].

On pourrait penser que le refus de la spécialisation en politique relève de la même réflexion portant sur la répartition du pouvoir dans la société. Pourtant, le refus de la spécialisation politique chez Castoriadis se fonde d’abord sur une réflexion concernant la nature du politique. Selon lui, il ne peut y avoir de spécialiste de la politique pour la simple et bonne raison qu’une telle spécialisation est impossible, la prétention de connaître la vérité de la politique est immanquablement mensongère[87]. « [L]a politique, je l’ai écrit des dizaines de fois, n’est pas une affaire d’epistèmè mais de doxa – et cela est la seule justification non procédurale du principe majoritaire. Et en disant cela on n’a pas encore fini, car toutes les doxai ne sont pas équivalentes, et il y a une sorte de savoir en politique, qui n’est pas « science » mais affaire de jugement, de prudence et de vraisemblance. »[88] Ce sont ceux et celles qui sont directement concernés par la vie en société qui sont les meilleurs juges pour évaluer un choix politique. En conséquence, c’est toute la société qui est interpelée par la décision politique et non seulement certains « spécialistes de l’universel » ou « techniciens de la totalité »[89].

Enfin, le refus de l’État comme organisation entièrement séparée de la société n’est pas étranger aux critiques formulées contre la bureaucratie dans Socialisme ou Barbarie, mais il ne s’y limite pas. En concevant l’État comme un lieu distinct de la société, on permet la création d’une caste de bureaucrates, mais, en plus, on lie la politique non plus à la société, mais bien à un appareil qui serait l’outil de la société. On ne décide donc plus ce qu’on doit faire ensemble, mais bien ce qu’on fait faire à la machine étatique : le débat politique devient ensuite une lutte pour le contrôle de cette machine[90].Castoriadis voit davantage le politique s’exprimer à travers différentes sphères dans la vie sociale plutôt que centré sur un appareil : « La langue grecque ancienne et la pratique politique des Athéniens nous offrent une distinction précieuse – et, à mon avis, de validité universelle – entre trois sphères des activités humaines, que l’institution globale de la société doit à la fois séparer et articuler : l’oikos, l’agora et l’ecclesia. On peut traduire librement par: la sphère privée, la sphère privée/publique, la sphère (formellement et fortement) publique »[91]. Hors de son espace privé, il existe donc deux autres espaces : le lieu public/privé où l’on discute librement et où l’on échange tant les idées que l’information et l’espace public formel où l’on prend ensemble des décisions. Précision utile, qui permet à la fois de comprendre une distinction autrement invisible, mais surtout qui problématise l’espace public du gouvernement représentatif. À quoi sert cet espace de discussion si la prise de décision en commun n’advient jamais en son sein? Pourquoi débattre si on ne fait que voter – fort rarement par ailleurs – pour des gens qui ensuite refont eux-mêmes les débats – lorsqu’ils les font – et prennent seuls les décisions? On voit donc que l’autonomie proposée par Castoriadis est une déconstruction complète de l’idée de « démocratie » telle qu’elle est pratiquée par les sociétés occidentales contemporaines. Les principaux symboles de nos gouvernements représentatifs —les représentant-es, les expert-es et l’État— sont nommément proscrits de la politique. Se trouve, en lieu et place, des espaces permanents de débat et de prise de décision auquel toute la collectivité est associée. On se doit de noter au passage le fait que Castoriadis, dans ses écrits tardifs, défait le lien qu’il tissait entre lieu de production et lieu démocratique. Bien qu’il ne réfute jamais directement le rôle central que jouaient les conseils d’usine et d’entreprise dans son premier modèle, on le voit de plus en plus préoccupé par des espaces proprement politiques qui n’ont pas de lien direct avec le statut de producteur.

La démocratie est, dès lors, un régime autonome conscient de son auto-institution. Or, l’absence d’hétéronomie signifie également l’absence de limites imposées. Il n’est rien que la démocratie ne puisse faire ou du moins tenter de faire, des chefs d’œuvres les plus époustouflants aux atrocités les plus monstrueuses. « Et c’est aussi pour cela qu’elle est un régime tragique. Le sens de la tragédie est cela même : la question de l’homme est l’hubris, il n’y a pas de règle ultime à laquelle il puisse se référer pour y échapper, pas de Décalogue, pas d’Évangile. […] Nous devons trouver nous-même les lois que nous devons adopter; les limites ne sont pas tracées d’avance, l’hubris est toujours possible. »[92] À cause de cet hubristoujours possible, la démocratie doit se donner des balises, tout en étant consciente qu’elle trace elle-même ces limites, qu’elles ne lui viennent pas de l’extérieur. D’où le terme de Castoridias d’autolimitation, se limiter soi-même. L’exemple athénien est, pour lui, une source importante d’inspiration d’institutions menant à l’autolimitation. Il recense trois institutions mises en place à Athènes qui avaient pour effet de limiter la démocratie par elle-même : le graphè paranomôn, l’ostracisme et la tragédie.

Le graphè paranomôn se traduit par l’expression tautologique « accusation pour loi illégale » qui ne rend pas bien la profondeur de cette institution. Résumons-la pour mieux la comprendre. Un Athénien se présentait devant l’Assemblée, faisait une proposition. Si elle se voyait adoptée, un autre citoyen pouvait, par la suite, grâce au graphè paranomôn, mettre en accusation le proposeur pour avoir fait adopter une loi illégale, que ce soit en raison d’une erreur de procédure légale ou parce que la proposition était dommageable aux intérêts du peuple[93]. Ainsi, un tribunal (dont les juges pouvaient être aussi nombreux que 1501 de ses concitoyens choisis au hasard) réentendait l’ensemble des arguments et jugeait si la loi était véritablement sage. S’il était jugé que cette loi relevait de l’hubris, elle était annulée, et le proposeur, condamné à une forte amende et, potentiellement, au retrait de ses droits politiques, voire à l’exil. Donc, c’est le peuple qui juge lui-même son ouvrage politique. Pas question de céder ce jugement à des experts d’interprétation de constitutions (comme les juges de Cour suprême dans les gouvernements représentatifs), il s’agit plutôt de créer une autre modalité où le peuple peut repenser lui-même à ce qu’il a fait et au contexte dans lequel il l’a fait.  « Le peuple dit la loi : le peuple peut se tromper; le peuple peut se corriger. C’est là un magnifique exemple d’une institution efficace d’autolimitation »[94].

On voit ici la mécanique propre à l’autolimitation telle que l’entend Castoriadis. Comme, pour lui, la démocratie n’est pas le règne des expert-es ou des sages, mais bien du démos en acte, c’est celui-ci qui se régule lui-même, mais il se donne simplement des modalités multiples pour le faire. À un moment, il décide ensemble, mais soudain il donne à certains de ses membres, choisis au hasard et non élus, la possibilité de revoir la décision et de la réévaluer. Ce choix du mode aléatoire est significatif sur le plan de l’égalité. L’élection postule qu’il y a toujours des gens plus compétents et avisés que d’autres pour réaliser telle ou telle autre tâche, ce qui n’est pas nécessairement le cas dès qu’on reconnaît à tous et toutes la faculté de porter un jugement politique. L’élection est aussi un mécanisme qui fait appel à des éléments qui n’ont rien à voir avec la démocratie : à la fois l’image, la popularité et les retours d’ascenseur. Le hasard a aussi pour conséquence de ne pas diviser le démos en son sein. Ce n’est pas tel « groupe » ou tel « comité d’experts » qui a jugé le démos et la qualité de sa décision, ce sont plutôt des membres de l’assemblée elle-même, réunis ad hoc, qui ont revisité la décision. C’est le démos qui se regarde lui-même par cet exercice d’autolimitation.

Pour Castoriadis, la loi athénienne qui permet de mettre certains dirigeants au ban de la société, l’ostracisme, a une fonction similaire. Cette règle est souvent interprétée comme permettant de se prémunir des tyrans, d’éviter le « kidnapping » de la démocratie par des usurpateurs. Castoriadis juge qu’il s’agit là, en fait, d’une mauvaise lecture à la fois de la fonction de cette règle et du rôle des tyrans dans l’histoire de la démocratie grecque. Lire le tyran grec comme un despote illégitime régnant grâce à la terreur équivaut à plaquer nos propres schèmes de compréhension de la tyrannie sur la Grèce antique. Nombre de tyrans furent en fait mis en place par le peuple pour contrer le pouvoir des grandes familles aristocratiques. Certains tyrans ont mêmes activement participé à la construction de l’Athènes démocratique (on peut penser à Pisistrate, par exemple).[95] Ainsi, la capacité du peuple d’ostraciser des dirigeants politiques et de les sortir de la cité n’est pas tant mise en place par peur de leur domination que par crainte de la division et des déchirements qu’ils peuvent amener dans le corps social[96]. Deux opposants politiques au fort charisme peuvent monter rapidement une partie de la population contre une autre et créer des situations terribles où ce qui domine l’espace politique est bien certainement plus l’hubris que la sagesse démocratique. « L’unité du corps politique doit être préservée même contre les formes extrêmes du conflit politique […]. Il ne faut pas laisser la communauté éclater sous l’effet des divisions et des antagonismes politiques; aussi l’un des deux chefs rivaux doit-il endurer un exil temporaire. »[97] La règle de l’ostracisme sert donc à limiter la démocratie dans sa tendance à se diviser à l’interne et, finalement, à sacrifier l’unité du groupe pour les discours et le charisme de certains individus. Mieux vaut plutôt sacrifier la présence de ces gens de talents pour quelques temps dans l’espoir de reconstruire le démos autour de ses propres capacités de s’organiser et de légiférer.

La dernière institution qui, selon Castoriadis, joue un rôle d’autolimitation est la tragédie. Il la conçoit comme étant fortement liée à la démocratie : il n’y a d’ailleurs pas lieu selon lui de parler de tragédie grecque, mais bien plutôt de tragédie athénienne, car c’est à Athènes que la tragédie a pris racine. La tragédie est éminemment politique, tant dans son rôle que dans son propos. La tragédie présente la réalité du choix politique démocratique et son rapport au chaos dans lequel les humains évoluent. Le monde n’est pas ordonné et unidirectionnel, il ne répond pas une logique ou une justice extérieure. Au contraire, il n’obéit à aucune règle éthique ou morale et les êtres humains, qui, eux, répondent à de telles logiques, doivent néanmoins y évoluer. Ainsi, les circonstances extérieures, mais aussi la volonté d’hubris qui vit au-dedans même des humains, fait dérailler leurs plans, mais peut aussi mener à des catastrophes[98].

À cet égard, Castoriadis offre une analyse fort pertinente d’Antigone et situe le nœud de la tragédie bien au-delà de ce qu’on en présente habituellement. En effet, au lieu d’être une opposition entre la loi humaine et la loi naturelle, elle est plutôt un avertissement fait aux citoyens qui s’adonnent aux travaux politiques. Cet avertissement est porté par Hémon, le fils de Créon, qui avertit son père que même s’il prend une décision fondée sur des bases solides, il n’est pas bon en politique d’être « sage tout seul » : « Pour dire les choses autrement, c’est précisément en raison du caractère total du domaine du politique (incluant, en l’occurrence, les décisions relatives à l’inhumation ainsi qu’à la vie et à la mort) qu’une décision politique correcte doit prendre en compte tous les facteurs, au-delà des facteurs strictement « politiques ». »[99] Le rôle d’autolimitation de la tragédie est ainsi révélé : il s’agit de montrer aux citoyens à quel point ils peuvent être dangereux pour eux-mêmes s’ils entrent dans la logique de l’hubris. Créon n’écoute que la froide logique du realpolitik, tandis qu’Antigone n’écoute que la passion des sentiments pour un être cher. En se fermant au dialogue entre leur deux visions des choses, principe fondateur de la démocratie, ils foncent droit vers la destruction de la polis elle-même. Comme institution d’autolimitation, la tragédie sert donc surtout à cultiver la prudence face à l’hubris et à ses dérives. En voyant là où peuvent mener ces travers, elle instille de la sagesse chez les citoyens avant qu’ils ne prennent des décisions. Ainsi, elle participe à leur éducation, à la formation de citoyens mieux à même d’interagir adéquatement au sein de leurs institutions.

Comment devrait s’appliquer cette autolimitation? Castoriadis affirme qu’il faut être très clair sur au moins deux principes et mettre en place les institutions qui s’imposent ensuite : « Je pense qu’on peut poser quelques principes simples : 1. Nous ne voulons pas d’une expansion illimitée et irréfléchie de la production, nous voulons une économie qui soit un moyen et non pas la fin de la vie humaine; 2. Nous voulons une expansion libre du savoir mais nous ne pouvons plus prétendre ignorer que cette expansion contient en elle-même des dangers qui ne peuvent pas être définis par avance. »[100] Castoriadis pointe ici vers la forme contemporaine de l’hubris : le désir illimité d’accumulation et la croyance que toutes les avancées techno-scientifiques sont nécessairement bonnes en soi. Sans préciser quelles institutions permettraient d’autolimiter notre action dans ces domaines, il invite à s’inspirer des Grecs pour mettre en place des institutions qui consolideront l’unité du démos et qui participeront à la formation des citoyens plutôt que de créer des castes d’expert ou des règles imposées de l’extérieur.

Cette posture n’est pas sans tension ou contradiction. Comme le souligne Gilles Labelle, en fondant son ontologie sociale sur le chaos, sur le vide, Castoriadis pose le citoyen voulant faire de la politique dans une posture « qui doit, pourrait-on dire, tenir simultanément les deux bouts de la chaîne : la loi étant nécessaire – puisqu’à défaut d’elle, il n’y a pas de Cité et simplement pas d’humanité, qui n’existe que socialisée -, il faut y adhérer; mais étant irréductiblement contingente – puisqu’elle est sans fondement ultime -, il faut en faire l’objet d’un légitime soupçon, d’une critique qui engage à un mouvement de “refondation”, à l’infini et, à dire vrai, que l’on sait d’avance condamné à échouer »[101]. Négociant toujours entre deux hubris (naturaliser la loi ou la contester ad infinitum), l’autonomie est-elle, en dernière analyse, une ligne si mince qu’elle devient impossible à tenir? Comme il n’est jamais possible de tenir une position ferme (il faut questionner, mais pas trop; ou, à l’inverse, croire, mais pas trop), on pourrait dire qu’en fait c’est précisément la question de situer la limite qu’on perd de vue[102]. On pourrait ajouter que la réponse voulant que ce soit précisément là l’objet du débat politique devient tautologique comme il n’y a finalement plus rien à débattre, tout étant en suspens entre deux pôles dont on ne sait situer à partir de quel point on les aura trop approchés.

On peut alors s’interroger, avec Stéphane Vibert, sur le lieu à partir duquel peut se déployer le politique[103]. Si le social-historique est cet enchaînement de nomos et leur effet, conscient et inconscient, sur l’imaginaire qui participe à instituer le nomos actuel, comment penser une politique qui puisse aller jouer si profondément sans revenir à l’idée de pouvoir faire table rase des institutions que Castoriadis conteste comme nous l’avons vu? Le jeu politique ne change pas volontairement ni immédiatement la culture et « la dimension constitutive des mœurs […] ne s’avère pas réformable par décret ou sanction »[104]. Affirmation indéniable, mais est-ce véritablement le projet de Castoriadis? On pourrait souligner, comme le fait Nicolas Poirier, que la place qu’occupent certains éléments de la psychanalyse et la notion de social-historique dans le projet d’autonomie contestent – ou tout au moins nuancent – que c’est bel et bien l’entreprise de Castoriadis[105]. Pour Castoriadis, s’inscrivent dans les couches magmatiques des significations imaginaires sociales des éléments dont on ne peut se débarrasser volontairement, comme la psyché ne saurait se débarrasser de son inconscient. Le social-historique, les traces de l’expérience collective des formes passées du nomos – d’autres mots pour désigner la culture et les mœurs –, est en fait intégré dans ce qui compose le nomos actuel : dans l’hétéronomie comme dans l’autonomie. « La langue, la « famille », les mœurs, les « idées », une foule innombrable d’autres choses et leur évolution, échappent pour l’essentiel à la législation »[106], même à celle du pouvoir instituant. Il ne s’agit donc pas de rendre transparentes, mais de chercher consciemment à mieux comprendre ces significations imaginaires sociales et leur influence pour faire de la politique, c’est-à-dire débattre et décider ensemble ce que nous faisons du monde[107].

Résumé des institutions de l’émancipation selon Castoriadis

Pour Castoridias, l’émancipation se fait dans une société composée de conseils. Le jeune Castoriadis croit que le lieu de la démocratie doit d’abord se trouver autour du travail, plus tard, cette position est moins claire et peut comporter également les milieux de vie. Ces conseils rassemblent l’ensemble des membres d’une communauté (par exemple, d’une usine, d’un village ou d’un bureau) et leur permet de prendre des décisions ensembles.

L’assemblée centrale réunit des délégué-es (révocables à tout instant et qui ne quittent pas le lieu de travail ou de résidence) des conseils pour prendre des décisions sur des enjeux qui touchent l’ensemble des conseils. Cette assemblée élit (sur les mêmes bases que l’assemblée centrale) un gouvernement des conseils qui peut régler les situations d’urgence, qui prépare les assemblées centrales et s’assure de bien faire circuler l’information.

Les conseils, coordonnés par l’assemblée centrale, planifient démocratiquement l’économie. Pour le « jeune » Castoriadis, ils le font à partir des données rassemblées par l’usine du plan[108]. Cette usine est un milieu de travail comme les autres, mais son objet est de produire des plans de d’organisation de l’économie et de situer le mieux possible les conséquences de ces plans. Elle présente ainsi divers scénarios aux conseils pour qu’ils puissent prendre leurs décisions en connaissance de cause.

Ces institutions et une éducation émancipatrice permettent aux membres de la cité de réaliser que les institutions sociales sont auto-instituées et non imposées par une logique extérieure. Ainsi, les citoyen-nes pratiquent l’autonomie, c’est-à-dire une organisation démocratique qui refuse à la fois la domination des experts, la domination de représentant-es et la création d’un État séparé de la société.

Enfin, pour éviter que la démocratie ne sombre dans l’hubris, Castoriadis propose la mise en place d’institutions d’autolimitation. Inspirées par l’Athènes démocratique, elles doivent permettre que de l’intérieur même de la démocratie on puisse imposer des limites pour le respect d’une certaine prudence politique.

[1]Bien visibles dans la division qu’en fait Brian Singer en  early et later Castoriadis dans : Singer Brian, « The early Castoriadis: socialism, barbarism and the bureaucratic thread », Canadian Journal of Political and Social Theory, vol. 3, 3, 1979, p. 35–56. et Singer Brian, « The Later Castoriadis: Institution under Interrogation », Canadian Journal of Political and Social Theory, vol. 4, 1, 1980, p. 75–101.

[2]Une démarche qui serait justifiée, entre autre, sur la base de la rupture que Castoriadis annonce lui-même d’avec le marxisme précisément dans le passage entre ces deux périodes. Voir : Castoriadis Cornelius, L’institution imaginaire de la société, Paris, Seuil, 1999, p.13-170. On peut la voir soutenue, entre autres, par Gottraux Philippe, Socialisme ou barbarie. Un engagement politique dans la France de l’avant-guerre, Lausanne, Librairie Payot, 1997.

[3] Castoriadis Cornelius et Cohn-Bendit Daniel, De l’écologie à l’autonomie, Paris, Seuil, 1981, p.83-84; Mouvement anti-utilitariste dans les sciences sociales Paris, et Castoriadis Cornelius, Démocratie et relativisme : débat avec le MAUSS, Paris, Mille et une nuits, 2010, p.95-96.

[4]Voir, entre autres : Caumières Philippe, Castoriadis, critique sociale et émancipation, Paris, Textuel, 2011, p.11-12; Poirier Nicolas, L’ontologie politique de Castoriadis: création et institution, Paris, Payot, 2011, p.10, 18, 237, 422; Singer Brian, « The Later Castoriadis: Institution under Interrogation », op. cit., p.75-76; Escobar Enrique, « Sur le contenu du socialisme », Socialisme ou Barbarie – Anthologie, La Bussière, Acratie, 2007, p.153-156.

[5]Je songe ici notamment aux 6 ouvrages paru aux éditions 10-18 reprenant des textes de Socialisme ou Barbarie alors que le groupe était dissout depuis longtemps.

[6]Castoriadis Cornelius, L’institution imaginaire de la société, op. cit., p.128-130.

[7]Mouvement anti-utilitariste dans les sciences sociales (Paris, France) et Castoriadis Cornelius, Démocratie et relativisme, op. cit., p.95-96. Je souligne.

[8]Une analyse qui est en phase avec celle offerte par Castoriadis lui-même dans Castoriadis Cornelius, Fait et à faire – Les carrefour du labyrinthe 5, Paris, Seuil, 2008, p.86-92.

[9]Vidal-Naquet Pierre, Mémoires 2. Le trouble et la lumière (1955-1998), Paris, Seuil, « Points Essais » 2007, p.165-170 cité dans Poirier Nicolas, L’ontologie politique de Castoriadis, op. cit., p.422 note 2.

[10] Poirier Nicolas, « La pensée philosophique de Castoriadis à l’époque de Socialisme ou Barbarie », in Cornelius Castoriadis, réinventer l’autonomie, Paris, Édition du Sandre, 2008, p. 62.

[11]Socialisme ou Barbarie, n. 10, août 1952, p. 1-9.

[12] Castoriadis Cornelius, Le contenu du socialisme, Paris, Union générale d’éditions, 1979, p.79. Une analyse que partage E. Escobar dans sa préface mentionnée plus haut.

[13] Le troisième est une version retravaillée du deuxième paru dans Socialisme ou Barbarie, n.17, juillet 1955, p.1-25. Celle que nous utilisons ici est parue dans Ibid. p.103-221 sous le titre : Le contenu du socialisme II.

[14]Socialisme ou Barbarie, n. 23, janvier-février 1958, p. 23-81. Republié dans L’expérience du mouvement ouvrier, Tome 2 : Prolétariat et organisation, Paris, Union générale d’éditions, 1974, p.9-88.

[15]Castoriadis Cornelius, Le contenu du socialisme, op. cit., p.112.

[16] Comme le souligne Philippe Caumière « Le dêmos est dit autonome dans la mesure où il est lui-même effectivement responsable des affaires de la Cité ». Caumières Philippe, Castoriadis : le projet d’autonomie, Paris, Michalon, 2007, p.87.

[17]Ojeili Chamsy, « Post-Marxism with Substance: Castoriadis and the Autonomy Project », New Political Science, vol. 23, 2, 2001, p. 230-231.

[18]Castoriadis Cornelius, Le contenu du socialisme, op. cit., p.146.

[19]Ibid. p.145-146.

[20]Ibid., p.150-153 et 196-197.

[21]Pour paraphraser Ibid., p.239.

[22]Caumières Philippe et Tomès Arnaud, Cornelius Castoriadis réinventer la politique après Marx, Paris, Presses universitaires de France, 2011, p.47-48.

[23] Castoriadis Cornelius, Le contenu du socialisme, op. cit., p.118-119.

[24]Ici pris dans un sens assez étroit qu’on ne saurait attribuer à Marx sans nuances.

[25]Castoriadis Cornelius, Le contenu du socialisme, op. cit., p.113.

[26]Ibid., p.113-114.

[27]Ibid.

[28]Poirier Nicolas, L’ontologie politique de Castoriadis, op. cit., p.217-219.

[29]La plupart des réflexions faites à l’époque du groupe Socialisme ou Barbarie sur cette question se retrouve dans : Castoriadis Cornelius, La société bureaucratique, vol. 1 et 2, Paris, Union générale d’éditions, 1973.

[30]Castoriadis Cornelius, Le contenu du socialisme, op. cit., p.120.

[31]Ibid., p.197-198.

[32]Ibid., p.120-124 et 195-198.

[33]Prat Jean-Louis, Introduction à Castoriadis, Paris, La Découverte, 2012, p.113.

[34]Castoriadis Cornelius, Le contenu du socialisme, op. cit., p.118.

[35]Ibid., p.125.

[36]Ibid., p.118

[37]Ibid., p.126.

[38]Ibid., p.145-147.

[39]Ibid., p.164.

[40]Ibid.

[41]Ibid., p.160-161.

[42]Ibid., p.164-165.

[43]Ibid., p.166-168.

[44]Ibid., p.172-173.

[45]Ibid., p.170-171.

[46]Ibid., p.168.

[47]Ibid., p.175.

[48]Ibid., p.93-94.

[49]Ibid., p.177-178.

[50]Fotopoulos Takis, « The Autonomy Project and Inclusive Democracy A Critical Review of Castoriadis’ Thought », The International Journal of Inclusive Democracy, vol. 4, 2, 2008, p. 1–29. Il est intéressant de constater que Fotopoulos aussi considère que le projet d’autonomie de Castoriadis doit être vu comme étant fondé sur les thèse développées dans Le contenu du socialisme : « Castoriadis never produced a new visualisation of his economic system consistent with his late project of autonomy, leaving the impression that the same economic model, which he formulated in the 1950s for his earlier socialist project, still applied to his new project […] although he adopted a new conception [of autonomy] for a future society, he did not disown his earlier formulations for a socialist model of workers’ management » (p.1).

[51]Ibid., p.4-6.

[52]Ibid., p.195-196.

[53]Caumières Philippe et Tomès Arnaud, Cornelius Castoriadis réinventer la politique après Marx, op. cit., p.82-83.

[54]Castoriadis Cornelius, « La polis grecque et la création de la démocratie », in Domaines de l’homme - Les carrefours du labyrinthe 2, Paris, Seuil, 1999, p. 358.

[55]Castoriadis Cornelius, La montée de l’insignifianceLes carrefours du labyrinthes 4, Paris, Éd. du Seuil, 2007, p.194.

[56]Poirier Nicolas, L’ontologie politique de Castoriadis, op. cit., p.247.

[57]Ibid., p.393-394.

[58]Prat Jean-Louis, Introduction à Castoriadis, op. cit., p.110.

[59]Adams Suzi, Castoriadis’s Ontology: Being and Creation, New York, Fordham University Press, 2011, p.23-24, 33-35, 57.

[60]Il est à noter que pour cette explication des institutions humaines, notre définition des institutions présentée en introduction est momentanément levée pour nous donner le temps de définir ce que Castoriadis entend par ce mot.

[61]Castoriadis Cornelius, L’institution imaginaire de la société, op. cit., p.108.

[62]En fait, l’idée même de balayer ces institutions provient de notre rapport avec l’institution langagière et la philosophie moderne. Castoriadis Cornelius, Fenêtre sur le chaos, Paris, Éditions du Seuil, 2007, p.36-37.

[63]Castoriadis Cornelius, L’institution imaginaire de la société, op. cit., p.327-399.

[64]Singer Brian, “The Later Castoriadis: Institution Under Interrogation”, op. cit., p.83.

[65]Castoriadis Cornelius, L’institution imaginaire de la société, op. cit., 493-499.

[66]Poirier Nicolas, L’ontologie politique de Castoriadis, op. cit., p.115-116.

[67]Klooger Jeff, Castoriadis: Psyche, Society, Autonomy, Boston, Brill, 2009, p.319.

[68]Adams Suzi, Castoriadis’s Ontology, op. cit., p.103.

[69]Castoriadis Cornelius, L’institution imaginaire de la société, op. cit., p.163.

[70]Adams Suzi, Castoriadis’s Ontology, op. cit., p.105.

[71]Pour paraphraser Castoriadis Cornelius, Les carrefours du labyrinthe, Paris, Seuil, 1998, p.191 cité dans Adams S., « Castoriadis at the Limits of Autonomy? Ecological Worldhood and the Hermeneutic of Modernity », European Journal of Social Theory, vol. 15, 3, 2012, p. 313.

[72]Castoriadis Cornelius, Fait et à faire, op. cit., p. 239.

[73]Adams Suzi, Castoriadis’s Ontology, op. cit., p.159.

[74]Ibid., p.188-189.

[75]Adams S., “Castoriadis at the Limits of Autonomy?”, op. cit., p.320-321.

[76]Caumières Philippe, Castoriadis, critique sociale et émancipation, op. cit., p.37.

[77]Castoriadis Cornelius, La montée de l’insignifiance, op. cit., p.194.

[78]Castoriadis Cornelius, L’institution imaginaire de la société, op. cit., p.160-161.

[79]Castoriadis Cornelius, La montée de l’insignifiance, op. cit., p.275-276.

[80]Castoriadis Cornelius, “La polis grecque et la création de la démocratie”, op. cit., p.381-382.

[81]Castoriadis Cornelius, La montée de l’insignifiance, op. cit., p.290-291.

[82]Ibid., p.284.

[83]Kalyvas A., « The Politics of Autonomy and the Challenge of Deliberation: Castoriadis Contra Habermas », Thesis Eleven, vol. 64, 1, 2001, p. 1–19.

[84]Manin Bernard, Principes du gouvernement représentatif, op. cit.

[85]Castoriadis Cornelius, “La polis grecque et la création de la démocratie”, op. cit., p.360-366.

[86]Ibid., p.360-361.

[87]Caumières Philippe, Castoriadis, op. cit., p.87-88.

[88]Castoriadis Cornelius, « Quelle démocratie? », in Figures du pensable – Les carrefours du labyrinthe 6, Paris, Points, 2009, p. 175–217.

[89]Castoriadis Cornelius, “La polis grecque et la création de la démocratie”, op. cit., p.361-362.

[90]Ibid., p.363-364.

[91]Castoriadis Cornelius, La montée de l’insignifiance, op. cit., p.276.

[92]Castoriadis Cornelius, “Quelle démocratie?”, op. cit., p.182.

[93]Hansen Mogens Herman, The Athenian Democracy in the Age of Demosthenes: Structure, Principles, and Ideology, Norman, University of Oklahoma Press, 1999, p.205-207.

[94]Castoriadis Cornelius, “La polis grecque et la création de la démocratie”, op. cit., p.373-374.

[95]Castoriadis Cornelius, Ce qui fait la Grèce III, Thucydide, la force et le droit, Paris, Éd. du Seuil, 2010, p. 268-269.

[96]Castoriadis Cornelius, Ce qui fait la Grèce II, La cité et les lois, Paris, Seuil, 2008, p.104-105.

[97]Castoriadis Cornelius, “La polis grecque et la création de la démocratie”, op. cit., p.367.

[98]Adams S., “Castoriadis at the Limits of Autonomy?”, op. cit., p.315.

[99]Castoriadis Cornelius, “La polis grecque et la création de la démocratie”, op. cit., p.377-378.

[100]Castoriadis Cornelius, Une société à la dérive : entretiens et débats 1974-1997, Paris, Seuil, 2005, p.238-239.

[101]Labelle Gilles, « Cornelius Castoriadis et les tensions inhérentes à l’imaginaire politique grec », in Cornelius Castoriadis, réinventer l’autonomie, Paris, Édition du Sandre, 2008, p. 230.

[102]Ibid.

[103]Vibert Stéphane, « Le nomos comme auto-institution collective. Le “germe grec” de l’autonomie démocratique chez Castoriadis », in Klimis Sophier et al. (dir.), Castoriadis et les grecs, Bruxelles, Publications des Facultés universitaires Saint-Louis, 2010, p. 67-69.

[104]Ibid., p.67-68.

[105]Poirier Nicolas, L’ontologie politique de Castoriadis, op. cit., p.390-392.

[106]Castoriadis Cornelius, Le monde morcelé, op. cit., p.134 cité dans Poirier Nicolas, L’ontologie politique de Castoriadis, op. cit. p.392, note 227.

[107]Caumières Philippe, Castoriadis, critique sociale et émancipation, op. cit. p.100-103.

[108]Il n’est pas certain que le Castoriadis « tardif » aurait maintenu cette terminologie ouvriériste, mais rien ne nous indique dans son œuvre qu’il rejette l’idée d’un lieu où se pense la planification de l’économie dans le cadre du projet d’autonomie.

Dans le cadre du projet de recherche en cours :
Planification économique démocratique

Axes de recherche :
Émancipation