Le municipalisme libertaire de Murray Bookchin

Ce texte fait partie d’un ensemble d’extraits de ma thèse que j’ai légèrement remaniés dans le but de partager des résumés des écrits sur les modèles économico-politiques post capitalistes avec un lectorat francophone. Mon autre objectif est d’intégrer ces textes au projet de recherche sur la planification économique démocratique que je démarre avec le CRITS.

Comme pour Castoriadis, l’œuvre de Murray Bookchin s’étend sur plusieurs décennies (1962 à 2006) et aborde plusieurs sujets différents allant de traités techniques sur l’agriculture biologique jusqu’à des réflexions sur la pensée hégélienne. Ses travaux les plus importants se concentrent sur deux propositions-phares : une théorie socio-historique, l’écologie sociale, et un projet émancipateur, le municipalisme libertaire. Bien entendu, l’écologie sociale est cruciale dans la construction des institutions du municipalisme libertaire. Ainsi, les préceptes de l’écologie sociale seront présents tout au long de notre présentation. Cependant, comme nous nous intéressons ici au projet émancipateur mis de l’avant par Bookchin, c’est le municipalisme libertaire qui sera le centre de notre attention. Nous nous pencherons sur les principales institutions propres au municipalisme libertaire une à une, dans l’ordre qui facilite le plus la compréhension et non suivant la chronologie de leur apparition dans l’œuvre de Bookchin.

Fait important à noter, Murray Bookchin ne structure pas son projet émancipateur en termes d’institutions clairement présentées, et sa proposition générale reste surtout dirigée vers des préceptes larges. Le caractère en partie arbitraire du choix des institutions présentées dans le texte qui suit est donc encore plus marqué pour Bookchin que dans le cas des autres projets positifs. De plus, plusieurs éléments laissent croire que Murray Bookchin lui-même n’approuverait pas une description détaillée de ses idées sur le municipalisme libertaire. En effet, bien qu’il ait avancé un projet émancipateur assez complet, il souscrit en partie à l’argument qui veut qu’en rendant exagérément détaillé un projet émancipateur on y apporterait les scories du système économique et politique dans lequel nous évoluons[1]. Je crois pour ma part que la réfutation présentée dans ma thèse[2] répond également aux arguments de Bookchin, il me semble donc important de poursuivre la démarche. Ainsi, les principales institutions du municipalisme libertaire sur lesquelles nous nous pencherons sont l’après-rareté, les technologies appropriées, le retour à une économie centrée sur la vie, la cité, l’assemblée citoyenne et le confédéralisme.

L’après-rareté

La fin de la rareté n’est pas tant une institution du municipalisme libertaire que le contexte historique dans lequel il s’inscrit et devient possible. Le concept de l’après-rareté (post-scarcity) et le livre dans lequel il fait son apparition[3] fera connaître Bookchin, par la polémique, au début des années 1970. Par ce concept, il tente de sortir la pensée libertaire de la cage dans laquelle l’enferment les concepts économiques libéraux classiques. Ce postulat est à ce point contraire aux principes fondateurs de la pensée écologiste qu’il a permis à certains de ses tenants de considérer Bookchin à l’extérieur de cette pensée[4].

Pour Bookchin, la rareté est un des axes centraux de l’économie politique dominante qui se fonde sur la reproduction des atavismes hérités des sociétés dite « primitives ». Suivant les principes du libéralisme, il n’y a pas assez de capacités productives et de ressources pour combler les besoins de tout le monde, ainsi il faut non seulement faire des efforts et des sacrifices pour augmenter la productivité, mais de plus la distribution des biens doit être modelée en fonction de la participation à la production pour stimuler la productivité par émulation ou effet de manque. Cette inadéquation entre les besoins et les moyens place le travail au cœur de l’économie politique libérale : comme il n’y en a pas assez pour tout le monde, ce sont ceux et celles qui travaillent le plus efficacement qui obtiendront le plus de ressources en contrepartie de leurs efforts, stimulant ainsi les producteurs les plus efficaces et encourageant les autres à les imiter. La rareté, qui s’inscrit dans l’histoire d’abord comme manque effectif de ressources, se transforme progressivement en système politico-économique. La rareté n’est donc pas que le manque de ressources, c’est surtout l’inquiétude constante de ce manque dans l’esprit des humains : « In organic societies this insecurity may be a function of the oppressive limits established by a precarious natural world; in a hierarchical society it is a function of the repressive limits established by an exploitative class structure. »[5] On connaît les attaques plus classiques (portées et inspirées par Marx) à cette présentation de la réalité économique du capitalisme. Cette critique démonte la logique libérale à partir de ses propres termes : en fait ce ne sont pas les plus travaillants ou les plus efficaces qui obtiennent la plus grosse part du gâteau, mais bien les propriétaires des moyens de production qui exploitent ceux et celles qui travaillent. De plus, toute cette production n’est pas faite dans le but d’augmenter le bien-être de la population, mais bien pour faire croitre une valeur abstraite, l’argent, qui confère plus de pouvoir aux gens qui l’accumulent[6]. Alors qu’il semble par ailleurs s’accorder avec les critiques marxiennes de la pensée libérale, Bookchin attaque la rareté à partir d’un autre angle. Pour lui, l’argument même de la rareté, prémisse de toute l’économie politique inspirée du libéralisme, ne tient pas la route. Pour deux raisons majeures : nous vivons désormais dans une société d’abondance et nous confondons les besoins et les désirs.

Pour Bookchin, les avancées technologiques ont réglé la question de la rareté. Alors qu’il écrit au début de années 1970, il affirme qu’il n’y a plus de problèmes à combler les besoins de la population mondiale d’un point de vue purement technique. Les machines et inventions développées par les générations qui nous ont précédés nous permettent de réaliser le labeur pénible qu’exige notre survie sans l’effort qui était autrefois nécessaire. : « We of this century have finally opened the prospect of material abundance for all to enjoy – a sufficiency in the means of life without the need for grinding, day-to-day toil. »[7] Combler les besoins de base n’est plus, pour Bookchin, une question technique. Cette dernière est déjà réglée, l’humanité a eu l’ingéniosité et la créativité de concevoir les machines et les équipements pour combler ses besoins. En fait, nous pouvons le faire en beaucoup moins de temps qu’auparavant, ce qui nous permettrait de réaliser des grandes économies de temps de travail pour plutôt se consacrer au loisir. La faim vécue par nombre d’êtres humains tout comme l’absence de logement ou de vêtements sont des problèmes politiques. Si nous le souhaitions collectivement, l’ensemble des êtres humains sur la planète pourraient combler leurs besoins de base.

Cependant, l’économie politique dominante ne propose aucune définition claire des besoins et se fonde plutôt sur les « besoins exprimés » par les différents acteurs dans l’économie. Ainsi, ce dont on a besoin est équivalent à ce qu’on veut. Un riche a besoin d’un yacht autant qu’un pauvre a besoin de riz, voire même plus encore car il est prêt à consacrer beaucoup plus d’argent pour satisfaire son besoin. Le corolaire, le fait d’éviter de poser des critères de validité normatifs aux besoins humains, est le point aveugle de l’économie dominante à propos des inégalités qu’elle développe en matière de pouvoir[8]. Subsiste ainsi une confusion entre « besoins » et « désirs »[9]. Selon Bookchin cette confusion se décuple lorsque le marketing vient y participer en nous faisant croire que chaque nouveau produit conçu est nécessaire à notre bonheur.[10] On peut avoir besoin de nourriture, mais on ne peut avoir besoin d’un yacht luxueux, on peut seulement le désirer. Ainsi, la notion de rareté est perpétuée par une confusion, celle qui situe un certain style de vie comme étant de l’ordre des besoins. Donc, ni « the material « privileges » that modern capitalism seems to afford the middle classes nor its lavish wasting of resources reflects the rational, humanistic, indeed unalienated, content of a post-scarcity society »[11]. Ce qui ne veut pas dire que le style de vie de la classe moyenne occidentale couvre l’ensemble des besoins. En effet, pour Bookchin, une société d’après-rareté doit penser à combler les besoins sociaux, culturels et psychologiques des individus qui en font partie, ce qui n’est pas le cas dans nos sociétés actuelles[12].

Pour que tous et toutes puissent profiter de l’abondance offerte par les avancées technologiques auxquelles l’humanité est parvenue, il nous faut établir rationnellement quels sont les besoins essentiels et les désirs, puis donner aux premiers la priorité sur les seconds. Pour Bookchin, la différentiation entre besoin et désir doit aussi être un élément culturel et non strictement politique. Il faut donc la possibilité matériel de produire et de choisir, mais cela n’est pas suffisant  « none of these achievements is adequate to the idea of post-scarcity if the individual does not have the autonomy and moral insight, and wisdom to choose rationally. […] What is ultimately at stake for the individual whose needs are rational is the achievement of an autonomous personality and selfhood. »[13] Une fois ce rapport aux désirs et aux besoins rendu conscient (et non laissé au flux des pulsions irréfléchies), une forme d’autonomie – qui n’est pas sans rappeler celle défendue par Castoriadis – est possible. En se pensant selon cette vision autant au moment de consommer qu’au moment de produire, une autre vision de la liberté se dégage, « the broadest conception of freedom known thus far: the autonomous individual’s freedom to shape material life in a form that is neither ascetic nor hedonistic, but a blend of the best in both – one that is ecological, rational and artistic. »[14]

Donc, l’après-rareté est à la fois un moment historique dans lequel nous sommes entrés grâce aux avancées technologiques, mais également une capacité à comprendre cette situation d’abondance et à la rendre source d’émancipation et non de domination. L’après-rareté ne devient synonyme d’émancipation qu’à partir du moment où est faite une distinction entre les besoins et les désirs et que la réalisation de l’un et l’autre se fait de façon consciente et autonome. Cela montre bien l’importante tension qui traverse le concept. Comme le souligne Damian White, la critique que Bookchin fait de l’idée de rareté et de son usage historique comme outil de domination est certes pertinente et peu commune dans le cadre de la pensée écologiste. Cependant, le niveau de généralité auquel Bookchin la maintient pose un certain nombre de problèmes, notamment quand il s’agit d’organiser l’allocation des ressources entre les humains, ce que Bookchin semble considérer comme un problème sinon résolu alors secondaire[15]. Il semble que pour dépasser cette tension interne il serait utile de penser la distinction entre le contexte d’après-rareté et l’idée d’abondance : nous y reviendrons.

La technologie appropriée

Le premier ouvrage publié de Murray Bookchin porte sur la technologie et son effet sur nos vies et sur notre environnement. Paru en 1962, soit quelques mois avant le fameux Silent Spring de Rachel Carson[16], Our synthetic environment[17], publié sous un nom d’emprunt, tente de situer le lien entre environnement, santé, urbanisme et agriculture. Dans ce livre, Bookchin tente de montrer que notre peu de considération pour l’environnement met en danger nos vies et il propose des technologies alternatives qui lui paraissent moins pernicieuses. Cet intérêt pour le caractère déterminant de la technologie sur l’évolution de nos sociétés sera également présent dans ses ouvrages subséquents. Le premier reproche que Bookchin fait à notre rapport à la technologie est la perte de contrôle sur la taille de nos technologies. En faisant le pari du gigantisme, la société contemporaine a développé des technologies qui ne sont plus compréhensibles pour ses membres. Bookchin cite l’exemple des centrales énergétiques et de la production agricole, pour souligner que même ceux et celles qui y travaillent quotidiennement ont rarement une compréhension du fonctionnement général de ces immenses systèmes.[18] On pourrait facilement reprendre cet exemple aujourd’hui et l’étendre à une multitude d’autres technologies, notamment les technologies de l’information qui sont pleinement intégrées à la vie des gens, alors qu’une part infime de la population peut en comprendre précisément le fonctionnement. La tendance que Bookchin pointe en citant la technologie à grande échelle est celle qui transforme la plupart des gens en utilisateurs plus ou moins habiles de cette technologie[19], et qui réserve la compréhension de son fonctionnement et la capacité de la transformer ou de la réparer à une caste de spécialistes aux connaissances pointues. Difficile de ne pas constater que cette tendance s’est plutôt généralisée depuis les années 1970[20]. À l’inverse de ce courant, Bookchin propose une technologie à échelle humaine. Cela ne signifie pas à petite échelle, comme le propose Schumacher dans son célèbre Small is beautiful[21], mais bien à une échelle que les humains d’une communauté relativement restreinte sont capables de comprendre, d’utiliser et de réparer[22]. En fait, ce que Bookchin tente de défendre c’est une technologie démocratique, aux accents libertaires[23]. La technologie – qui couvre les objets matériels ainsi que les modes d’organisation des humains[24] – doit être conçue pour éviter la dépendance de certain-es envers d’autres et le fait de concentrer le pouvoir entre quelques mains. Il s’agit, pour lui, de concevoir la technologie pour qu’elle s’intègre et participe à l’organisation démocratique de la société par son caractère transparent, accessible et bien réparti.

De plus, la technologie que Bookchin propose doit produire des biens qui non seulement ne nuisent pas aux écosystèmes dans lesquels et pour lesquels ils sont produits, mais qui doivent aussi avoir des effets qui sont complémentaires à ces écosystèmes. En effet, au lieu de déconsidérer le « travail » fait par la nature, comme c’est actuellement le cas, selon lui, les humains devraient plutôt y intégrer le produit de leur propre travail en suivant le tracé initié par les écosystèmes[25].Cette intégration de la production humaine dans la production réalisée par notre environnement découle d’une lecture non-oppositionnelle entre nature et culture. En effet, pour lui, la culture humaine, est en fait une « seconde nature », soit la capacité de la nature à s’observer, à se comprendre elle-même et à se dépasser :

Je cherche à montrer que ce qui les unit toutes deux [la première et la deuxième nature] dans un continuum évolutif progressif, c’est le fait que l’être humain, s’il vivait dans une société rationnelle et orientée vers l’écologie, pourrait incarner de façon remarquable la faculté de création de la nature – faculté qui ne se confond pas avec un critère de réussite dans l’évolution basé sur la seule capacité d’adaptation. Les grandes réalisations de la pensée humaine, de l’art, de la science et de la technique ne sont pas seulement des monuments à la culture, mais aussi des monuments à l’évolution naturelle. Ils sont les témoignages héroïques du fait que l’espèce humaine est une forme de vie passionnée et passionnante, plein de possibilité et d’une vive intelligence – et non un insecte à sang froid, génétiquement programmé et sans esprit -, qui exprime les plus grands pouvoirs de création de la nature.

Des formes de vie capables de créer et de modifier consciemment leur environnement dans un sens, il faut l’espérer qui le rendrait plus rationnel et plus écologique, représenteraient un vaste prolongement de la nature vers une évolution fascinante et peut-être sans limite qu’aucune espèce d’insectes ne pourra jamais réaliser et, en particulier, une évolution vers une nature pleinement consciente d’elle-même.[26]

Si les humains se pensent comme les subjectivités rendant la nature consciente d’elle-même, ils doivent cesser de s’opposer à elle et de tenter de la dominer pour plutôt participer à améliorer les systèmes qu’elle a déjà mis en place. Pour Bookchin, l’évolution de la nature la fait tendre vers une plus grande complexification, l’évolution n’est donc pas un processus passif, mais une transformation participative et créative ou les êtres vivants gagnent en différentiation et en autonomie[27] – affirmation qui n’est pas sans rappeler le rapport de Castoriadis à la phusis. Cette « dialectique de la nature »[28] qui sert de fondement éthique à Bookchin pour construire son projet politique n’est pas sans trouver de critiques. Un critique plus politique soutiendra que cette perspective ne laisse pas assez d’espace au conflit, car elle réduit le social à un ordre écologique dont l’évolution se ferait sans heurts[29]. Robyn Eckersley offre une critique toute aussi sévère, mais qui prend la direction opposée de cette approche politique[30]. Pour elle, la dialectique de la nature mise de l’avant par Bookchin comprend deux problèmes majeurs. D’abord, sa description d’un telos naturel n’est jamais pleinement justifiée par Bookchin : il ne ferait jamais selon elle la démonstration d’une propension de la nature à favoriser la complexification ou l’autonomie autrement que par des oxymores et des arguments tautologiques[31]. De plus, même s’il s’en défend, l’écologie sociale de Bookchin serait en fait anthropocentrée. En donnant à l’humanité la responsabilité de guider la destinée de la nature, Bookchin est hautement présomptueux : « Can we really be sure that the thrust of evolution, as intuited by Bookchin, is one of advancing subjectivity? In particular, is there not something self-serving and arrogant in the (unverifiable) claim that first nature is striving to achieve something that has presently reached its most developed form in us-second nature? »[32] Elle propose à l’inverse d’adopter une attitude envers la nature qui laisse les choses se développer selon leur propre cours. Pour sa part, Damian White, propose, en quelque sorte, de renverser le problème de la dialectique naturelle de Bookchin sans adhérer à l’écocentrisme d’Eckersley. Au lieu de chercher à fonder une éthique démocratique sur une histoire naturelle, il propose – s’inspirant notamment d’Henri Lefebvre et de Donna Haraway – de se pencher sur le processus de production de la nature, plutôt que de prendre celle-ci comme donnée. White est prêt à admettre que l’humanité soit la nature devenue consciente d’elle-même, mais il faudrait considérer cet état de fait davantage comme le résultat d’une série de conjonctures particulières que celui d’un telos inhérent à l’histoire naturelle. Il propose donc de penser une production démocratique de la nature qui réussirait à la fois à dépasser les seuls besoins humains et le point de vue subjectif[33].

Cette pensée de la nature comme création qui tend à aller vers une complexification grandissante aboutissant à l’humanité n’est pas sans rappeler les réflexions de Castoriadis sur la nature. Bookchin donne cependant à cette approche un caractère très concret quand il se penche, par exemple, sur le cas de l’agriculture. Imaginant ce qu’elle pourrait être dans le municipalisme libertaire, il décrit une agriculture qui serait hautement mécanisée, mais également respectueuse de la diversité du territoire où elle se pratique : « The soil on each acre is studied carefully and committed only to those crops for which it is most suited. Every effort is made to blend town and country without sacrificing the distinctive contribution that each has to offer to the human experience. »[34] La préoccupation de l’agriculture n’est plus d’adapter les écosystèmes aux besoins des humains, souvent présumés ou confondus avec leurs désirs, mais bien de s’adapter le mieux possible aux écosystèmes pour favoriser leur fonctionnement, ce qui en retour bénéficie aux humains en offrant une nourriture diversifiée et de qualité.

L’approche de complémentarité avec les écosystèmes de Bookchin défend également la valorisation de la durabilité des biens. La tendance actuelle à produire des biens dont la durée de vie s’amenuise de plus en plus est pour lui inacceptable tant au plan de l’efficacité économique que de la responsabilité environnementale. En effet, l’économie gagne en efficacité, mais tend à produire des biens moins durables pour servir les seules fins de rentabilité, tout en créant inutilement une dépense supplémentaire de ressources[35]. À l’inverse, il affirme que dans le municipalisme libertaire, la production technologique aura pour résultat des biens dont la durabilité permettra de répondre aux besoins sociaux le plus longtemps possible et en utilisant le moins de ressource possible [36].

Pour Bookchin, notre réalité a perdu une part de sa diversité par la production en série de plusieurs biens. Bien qu’il ne nie absolument pas l’intérêt de produire certains biens de façon industrielle, il juge que l’allocation des ressources devrait permettre de maintenir également, une production artisanale importante[37]. Ce retour à l’artisanat permet à la fois de réinstaurer des pratiques de production locale, mais aussi des styles et façons de faire associés aux espaces de vie. Il y a donc là une démocratisation de la capacité à modeler l’apparence et le fonctionnement de notre quotidien[38]. Mais, il y a aussi un projet de transformation des individus et des communautés à travers cette pratique. « To reinfuse the « artificial crafts » with the « natural arts » is not just a cardinal project for social ecology; it is an ethical enterprise of rehumanizing the psyche and demystifying techné. »[39] La communauté se pense alors en interdépendance, car on réalise le besoin que nous avons du travail des autres; plutôt que dans « l’indépendance » contemporaine où nous sommes en rapport direct à des objets produits on ne sait où et auxquels on accède par les médiations voilées du rayon de centre commercial. L’artisanat participe donc aussi au remodelage de la communauté. En concevant des biens dont les autres ont besoin, en échangeant des façons de les faire, en créant des esthétiques de biens propres à une communauté, l’esprit de collaboration et de solidarité se renforce.

Dès ses premiers écrits, et toute sa vie durant, Murray Bookchin s’intéresse à l’application technique de ses idées. Il s’intéresse particulièrement aux développements technologiques qui permettent de rendre la vie quotidienne plus proche des objectifs que nous venons d’énoncer, à savoir : une production à échelle humaine, le respect de l’environnement et le retour à l’artisanat. Dans divers livres et articles il se penche sur des questions très techniques pour voir comment il est possible d’atteindre les objectifs de l’écologie sociale. De plus, il expérimente leur réalisation avec le groupe qu’il réunit à l’Institute for Social Ecology situé à Burlington au Vermont[40]. Son intérêt est particulièrement marqué pour tout ce qui touche les énergies renouvelables, l’agriculture et l’organisation de la distribution grâce à des circuits courts[41]. Il est évident pour Bookchin qu’au sein du municipalisme libertaire, les êtres humains feront usage de ce type de technologies. Son argument central est qu’il sera impossible de vivre librement sur la planète et dans un certain confort matériel sans l’adhésion à des changements technologiques importants entourant l’énergie et l’agriculture, et ce, pour deux raisons. D’abord, parce que la quantité de ressources disponibles est insuffisante pour maintenir les rythmes de consommation actuels. Ensuite, parce que la pollution que nous générons dans ces domaines a des conséquences terribles sur la santé des humains et des écosystèmes[42]. Là encore, l’influence de la généralisation de ces changements de technologie n’aura pas qu’un effet sur notre environnement ou sur la qualité de ce que nous mangeons, mais ces différences technologiques joueront un important rôle dans la transformation du rapport au monde des individus concernés. « A real ecological system would emerge, a delicately interlaced pattern of local resources, honored by continual study and artful modification, with the growth of a true sense of regionalism every resource would find its place in a natural stable balance, an organic unity of social, technological, and natural elements. […] The community would become a beautifully molded arena of life, a vitalizing source of culture and a deeply personal, ever-nourishing source of human solidarity. »[43] La communauté prendrait donc un autre visage et changerait en même temps les vies qui s’y déploient. Une vie plus lente, une production axée sur la création d’objets utiles qui marient le rapport harmonieux à la nature, des critères esthétiques et une culture riche en réflexion et en diversité.

Comme on le voit, Bookchin considère que les changements technologiques sont un point central du municipalisme libertaire. La technologie peut favoriser ou nuire à l’élargissement de la démocratie; elle nous intègre plus ou moins bien dans les écosystèmes; elle peut rendre nos espaces de vie plus ou moins diversifiés en laissant ou non de l’espace pour l’artisanat et, enfin, elle permet tout simplement de rendre notre vie en commun possible en réduisant notre consommation des ressources et la pollution que nous produisons.

Ce rapport à la technologie n’est cependant pas sans tension, comme le soulignent John Clark[44] et David Watson[45]. En optant pour une relative adhésion au développement technologique, Bookchin se place dans une situation complexe quand vient le temps de démocratiser la politique et de favoriser une meilleure harmonie avec la nature. Des technologies qui nous semble aujourd’hui aussi simples que nécessaires exigent pourtant des niveaux de pollution élevés et une grande complexité organisationnelle. La simple construction d’une route exige une série d’étapes qu’il est difficile de suivre démocratiquement d’un bout à l’autre sans y consacrer un temps considérable[46]. En choisissant de conserver une technologie avancée – même si elle est adaptée le plus possible à la réalité humaine – Bookchin entre en tension avec le modèle démocratique qu’il défend et que nous discuterons plus loin.

Le retour à une économie centrée sur la vie

Comme on vient de le voir dans son rapport à la technologie, Murray Bookchin tente de rassembler une approche critique des avancées de la société contemporaine et d’éviter une posture primitiviste qu’il considère nuisible, irrationnelle et anti-humaine[47]. Son rapport avec l’économie se bâtit autour du même type d’équilibre. Il est évidemment critique du système économique capitaliste et il trouve dans ce qu’il désigne comme les « sociétés organiques » (que d’autres nommeraient primitives) des principes économiques qu’il considère inspirants. Cependant, il fustige toute idée de retour à ces sociétés ou de célébration de leur mode vie, qu’il décrit comme oppressant, irréfléchi et menant ultimement à des organisations patriarcales et gérontocratiques[48].

La présentation que fait Bookchin de ce qu’il décrit comme des sociétés organiques a été grandement débattue. David Watson, par exemple, reproche à Bookchin de construire, sous couvert de valorisation, une vision péjorative et faussée des sociétés qu’il prétend étudier[49]. Pour Watson, le tracé « dialectique » qui condamne les sociétés organiques à devenir inévitablement hiérarchisées et à donner naissance à l’État ne correspond pas aux recherches anthropologiques contemporaines, adhère à la même conception du progrès que la modernité libérale et se fait porteur du projet étatique. Alan P. Rudy[50] utilise des arguments similaires, mais pour aller en sens contraire : « his arguments dualistically oppose deterministic natural and social science rather than provide analysis of real contradictions and then generate a new synthesis. Highly contested natural scientific categories and widely debated anthropological theories are forced into a predetermined anarchist form »[51]. Dans une critique moins acerbe, Damian White souligne que l’aspect le plus problématique de la lecture qu’offre Bookchin de la naissance de la domination à travers les sociétés organiques est qu’elle n’atteint pas ses propres objectifs[52]. Alors qu’il prétend s’extraire d’une lecture purement déterministe de l’histoire, on se rend compte qu’en fait certains éléments physiques et historiques (en particulier les effets de la rareté) semblent grandement déterminants pour expliquer la construction des hiérarchies sociales. Alors qu’il consacre de nombreuses pages à condamner le déterminisme économique, il semble que Bookchin y soit encore partiellement enfermé.

Comme notre objet est de dégager les institutions qui semblent pertinentes à Bookchin pour la mise en place d’un projet émancipateur, nous nous concentrerons sur les principes qu’il retient des sociétés organiques et qu’il voit être les fondements d’une économie au-delà du capitalisme. Nous laisserons de côté la critique que Bookchin fait du primitivisme et de l’écologie profonde[53] ainsi que les critiques que nous venons de mentionner au sujet de sa lecture des sociétés organiques, l’important étant de garder en tête que ces critiques ont été formulées. Les trois concepts clés pour lesquels Bookchin s’inspire des sociétés organiques et que nous verrons ici sont la primauté de l’usufruit, l’égalité des inégaux et le minimum irréductible.

L’usufruit étant un terme connoté par le droit et le notariat, il est important d’établir d’abord une définition claire de ce que Bookchin entend par ce terme. En effet, de nos jours, cette notion est liée au droit de faire usage ou de jouir d’un bien qui appartient à une autre personne, l’exemple le plus évident étant la location d’un lieu de résidence : le locataire ayant l’usufruit d’un appartement tandis que le locateur conserve la propriété des lieux. C’est en un sens bien plus large que Bookchin utilise ce terme. Son usufruit réfère non seulement au droit d’usage des choses communes (comme pour l’eau d’un lac qu’on peut boire ou dans laquelle on peut nager, mais qui ne nous appartient pas), mais à plus encore. Pour Bookchin, la primauté de l’usufruit que peuvent nous inspirer les sociétés organiques se définit comme « the freedom of individuals in a community to appropriate resources merely by virtue of the fact that they are using them. Such resources belong to the user as long as they are being used » [54]. L’utilité du bien est donc plus importante que son historique de propriété. Ainsi, quand on fabrique des biens, ce n’est pas pour éventuellement en tirer profit, mais bien pour qu’ils soient utiles à la communauté. Le travail ne passe donc pas par le gain individuel avant de devenir socialement utile, il est tout de suite compris dans son caractère collectif. Il est question de mettre la priorité sur l’usage des choses et non sur leur propriété. Une maison est d’abord à ceux et celles qui l’habitent, un outil à la personne qui en fait usage et la nourriture à ceux et celles qui la mangent. Le rapport aux objets du monde qui nous entoure se désaxe donc. Il n’est plus question de tenter de voir qui a fourni le travail à l’origine d’un objet, mais bien à qui il sert ou pourrait servir. Cependant, Bookchin n’établit pas de balises pour la gestion collective des besoins et l’attribution des ressources et des biens à partir de cette idée de la primauté de l’usufruit.

Cet intérêt pour la primauté de l’usufruit lui permet aussi de formuler une critique de la propriété commune, célébrée par une certaine anthropologie radicale. Pour Bookchin, la propriété commune s’inscrit d’abord en opposition avec la nature, perçue comme porteuse de rareté et de manque pour les humains. Pour déjouer la guerre de tous contre tous de l’anthropologie de la propriété privée, la gauche anthropologique construit, selon Bookchin, une anthropologie du tous unis contre la nature[55]. Suivant le chemin inverse, à partir de la primauté de l’usufruit, on peut penser l’après-rareté. Il ne s’agit plus de produire pour augmenter les gains individuels et collectifs, mais bien de produire en fonction de nos besoins, faire des choses parce qu’elles seront utiles, tout simplement. Par contre, si Bookchin indique que c’est l’utilité et les besoins qui doivent primer, la lecture de ses textes ne dévoile pas une mécanique précise pour déterminer quels besoins sont prioritaires. Tout porte à croire qu’il laisse ce type de décision à l’organisation de démocratie directe sur laquelle nous reviendrons.

On peut en conclure que la pensée de Bookchin sur cette question se situe avant l’organisation économique en tant que telle. Il n’est pas question d’établir les détails de la répartition des biens et de son organisation, mais bien les principes qui guideront cette organisation. La primauté de l’usufruit signale que selon Bookchin la répartition des biens devrait d’abord se faire selon l’usage et le besoin.

Bookchin procède à un autre renversement de la doxa économique contemporaine. Alors que la pensée libérale dépeint des égaux en droits mais inégaux en conditions, Bookchin propose plutôt d’observer à l’origine de notre espèce des sociétés organiques où est vécue l’égalité des inégaux, un concept qu’il lie directement à celui de liberté. L’égalité des inégaux est « a freely given, unreflective form of social behavior and distribution that compensates inequalities and does not yield to the fictive claim, yet to be articulated, that everyone is equal »[56]. En proposant une inégalité concrète de fait, mais une égalité abstraite de droit, le libéralisme réussi à disjoindre égalité et liberté. Le prix à payer est particulièrement lourd, car la liberté devient elle aussi abstraite. On pourrait reprendre le mot d’Anatole France qui montre bien cette facticité : « La loi, dans un grand souci d’égalité, interdit aux riches comme aux pauvres de coucher sous les ponts, de mendier dans les rues et de voler du pain »[57]. La liberté n’a sens qu’à partir du moment où une égalité réelle existe entre tous les membres de la société. On voit ici l’idée de l’humanité comme seconde nature en opération. La première nature donne les humains différents et inégaux en force, en talents et en capacité. Cet état de fait laissé à lui-même peut mener à la domination des plus forts sur les plus faibles. Cependant, la culture permet de dépasser la nature en faisant usage des différentes forces et capacités pour créer un espace social dans lequel les choses sont réparties différemment pour compenser cette inégalité qu’on ne tente pas de nier, mais qui est considérée comme nuisant, en fait, à la liberté de tous et toutes. Cette dernière n’est pas comprise comme la liberté de n’importe qui de faire ce qu’il veut (par exemple, abuser des autres), mais bien comme la possibilité de bien vivre à l’intérieur d’une communauté[58].

Bookchin mobilise un concept de liberté qui prend le contrepied de l’utilitarisme Benthamien lequel organise le calcul savant des plaisirs et déplaisirs sociaux selon des principes de « justice » fondés sur une division quantitative des biens et ressources menant à une répartition la plus égale possible des usages et des plaisirs[59]. En procédant ainsi, Bentham – le libéralisme et la morale bourgeoise avec lui – produit pour Bookchin l’inégalité des égaux. Le libéralisme postule les gens égaux au départ et on tente ensuite de répartir les plaisirs (l’argent) et déplaisirs (le travail) le plus équitablement. Pour Bookchin, une telle justice ne compense pas, elle récompense[60]. La représentation de l’inégalité des égaux est la déesse Justice dont les yeux bandés empêchent de voir les différences entre les personnes qui se présentent devant elle. A contrario, le concept de liberté de Bookchin inspiré des sociétés organiques se fonde sur les différences et non sur un statut abstrait d’égaux toujours postulé en droit, mais jamais concrètement réalisé[61]. La justice ainsi conçue est l’opposée de la liberté. La liberté exige de vivre dans une communauté d’égaux, de ne pouvoir être dominé-e par d’autres et qu’enfin, les inégalités empêchant cette liberté soient levées par l’action de la communauté.

L’égalité des inégaux s’applique de façon très concrète pour Bookchin, entre autres, à travers le mécanisme du minimum irréductible : « To be assured of the material means of life irrespective of one’s productive contribution to the community implies that, wherever possible, society will compensate for the infirmities of the ill, handicapped and old, just as it will for the limited powers of the very young and their dependency on adults »[62]. Pour atteindre l’égalité et donc la liberté, il est nécessaire que personne ne soit menacé de mourir de faim ou d’indigence. Menacer directement ou indirectement l’intégrité physique de quelqu’un pour le forcer à faire quelque chose ne doit pas être possible. Quand un individu ou la société peut faire usage d’une telle contrainte, on sort du royaume de la liberté pour entrer dans celui du rapport de force et de la coercition. La liberté ne peut exister là où il est possible qu’on nous impose de mourir de faim à cause de nos choix ou de notre condition. 

Pour Bookchin, la « civilisation » ne nous mène pas à rejeter ces anciennes coutumes venues des sociétés organiques (la primauté de l’usufruit, l’égalité des inégaux et le minimum irréductible), mais bien de les sortir du carcan restreint dans lequel elles ont évolué. En les fondant sur le concept d’humanité plutôt que sur le concept de clan, de famille ou de tribu, nous pouvons parvenir à les extirper des logiques excluantes qui encadrent leur origine. Alors qu’il était impossible de penser l’élargissement de ce partage dans des sociétés organiques divisées, isolées et parfois carrément chauvines, l’idée d’humanité permet de donner un caractère universel à la proposition. « A free-flowing realm of ethics as distinguished from a world of hardened customs (however admirable these may be), is a creative realm in which the growth of mind and spirit is possible on a scale that has no precedent in the world of traditional mores. Ethics, values, and with them social relationships, technics and self-cultivation can now become self-forming, guided by intellect, sympathy, and love. »[63] Le minimum irréductible est donc une inspiration, un guide à partir duquel nous devons concevoir des normes éthiques adéquates pour une économie libérée des préceptes du libéralisme.

Bref, l’économie – au sens de l’organisation des ressources – est loin d’être une science. Elle est enchâssée dans l’objectif politique de l’atteinte de la liberté. Comme Bookchin se situe dans l’après-rareté, les « lois » économiques qui postulent que tous et toutes doivent se battre pour leur survie et que nous devons attribuer les ressources aux plus efficaces ne retiennent pas son attention. Nous devons d’abord instaurer la liberté; ensuite nous pourrons décider ensemble de la façon dont nous voulons vivre notre interaction avec l’environnement.

La cité

Sans surprise, le municipalisme libertaire accorde une grande importance à la vie municipale. Les rapports à la rareté, à la technologie et à l’économie que nous venons d’examiner s’instituent dans un espace politique précis, celui de la cité. Cet espace est au cœur de la pensée de Bookchin pour qui la politique s’articule d’abord en un lieu donné, ayant une dimension bien spécifique. Comme nous le verrons, la cité est fort différente des villes que nous connaissons aujourd’hui, et son concept se développe à l’inverse de l’urbanisation. Il s’agit d’un espace de vie et de rencontre à échelle humaine qui permet de réaliser un certain encrage dans les écosystèmes qui entourent les humains[64].

Le concept de cité chez Bookchin se situe au confluant du lieu de vie et de l’espace premier du politique. Nous reviendrons sous peu sur son caractère intrinsèquement politique, mais comprenons d’abord à quoi le concept de cité réfère et à quoi il s’oppose. En se basant sur l’expérience athénienne, Bookchin fonde la cité sur l’idée antique de citoyenneté : c’est-à-dire sur l’appartenance à une communauté géographique donnée, sur le partage d’une vie en commun effective et non sur l’appartenance à un grand ensemble politique comme la nation : « No modern body of ideas, to my knowledge, has wrestled with the answers to these question adequately enough to draw clear distinctions among the social, the political, and the statist so that a meaningful outlook can be formulated – one that will seek the delicate balance of ingredients (traditional, familial, ethical and institutional) and the paideia that articulates an authentically democratic politics with a concept of citizenship that gives this outlook reality. »[65] La cité est donc cet espace de taille relativement modeste, l’équivalent d’une petite ville ou d’un quartier aujourd’hui, où se conjuguent à la fois la vie politique, culturelle, économique et sociale. Les citoyen-nes sont au cœur de cet espace et en décident ensemble les finalités. Son inscription dans le réel, tant la constitution physique de ses infrastructures que l’organisation sociale de ceux et celles qui y habitent, est entièrement conçue par les citoyen-nes.

Selon Bookchin, à l’inverse des pratiques de la cité, se déploie en ce moment l’urbanisation du monde qui transforme en « milieu urbain » tout l’environnement, sans pour autant créer une communauté. Des maisons en série sont bâties, un système d’aqueduc est installé, le sol est bétonné et des lampadaires éclairent la nuit : voici un milieu urbain. Est-il pour autant possible d’y vivre pleinement sa vie ou est-ce seulement un dortoir? Ceux et celles qui y habitent peuvent-ils participer à la prise de décision quant à la mise en forme de l’espace ou tout le pouvoir est-il concentré entre les mains de quelques représentant-es? L’écosystème où se sont installés ces gens était-il prêt à les recevoir et leur installation s’est-elle fait en conjonction avec lui? Pour Bookchin, l’urbanisation actuelle construit d’abord et avant tout des banlieues apolitiques et déshumanisées, mais pas des cités[66]. « A city would almost certainly become a shapeless blob, a mere chaos of structures, streets, and squares if it lacked the institutions and forms appropriate to the development of an active citizenry. »[67] Il n’est pas étonnant que Bookchin choisisse un mot-processus pour désigner ce à quoi il s’oppose, plutôt qu’une entité politique achevée. Dans ses mots, l’urbanisation devient la construction sans fin de projets immobiliers, d’infrastructures urbaines et de centres commerciaux pour répondre à une demande, celle de logements et d’habitations, mais pas pour créer des espaces communs de cohabitation ni des communautés. Installé-es dans une posture de domination et d’exploitation des zones rurales qui les entourent, les habitant-es de ces milieux urbains ne pensent pas leur rapport à l’environnement et envisagent seulement d’en siphonner davantage de ressources. Les maisons et les rues restent en quelque sorte vides des citoyen-nes qui devaient les peupler et rendre ces espaces politiques, donc humains[68].

Un des éléments qui poussent Bookchin à opter pour la cité comme lieu politique de base, c’est sa taille. Pour la cité comme pour la technologie, Bookchin ne prétend pas que ce qui est petit est merveilleux, mais il pense que les outils politiques doivent correspondre à la réalité et à la dimension de la vie humaine. Non seulement le gigantisme des métropoles et de leurs vastes ceintures de banlieues les vide de leurs potentialités politiques, mais il rend tout simplement impossible qu’un humain en comprenne la dynamique complète. Il faut des dimensions saisissables pour qu’un espace devienne immédiatement politique, pour que les décisions qui y sont prises soient politiquement significatives et affectent notre quotidien, sans qu’on ait besoin de devenir un expert du fonctionnement de l’organisation en question. « Small is not necessarily beautiful. The concept of human scale, by far the more preferable expression for a truly ecological policy, is meant to mean it’s possible for people to completely grasp their political environment, not to parochially bury themselves in it to the exclusion of cultural stimuli from outside their community’s boundaries. »[69]

La cité offre plusieurs avantages. Assez petite pour qu’on y connaisse beaucoup de gens, mais assez grande pour qu’on puisse ne pas y être connu de tout le monde, elle est fondée sur l’adhésion et non sur l’obligation. Contrairement, par exemple, aux liens de sang ou à la transmission d’une foi, on peut choisir sa cité par affinité politique ou culturelle. On aime les gens qui y habitent ou on est y d’accord avec l’organisation de la vie : on s’y joint. La situation se détériore et on ne s’y retrouve plus chez soi : on quitte[70]. La cité permet aussi de mettre en place des agoras, des lieux de discussion et d’échange sur le politique qui, contrairement à l’ecclesia athénienne, ne sont pas pour autant des lieux de décision. Une place, un commerce ou un débit de boisson peuvent devenir, dans une communauté restreinte, à la fois lieu de passage, de rencontre ou de débat. Mais ces espaces doivent être occupés par des gens qui ont pour but de faire de la cité un espace politique et non strictement un lieu de résidence, de loisir ou de travail.

La cité, par sa dimension relativement modeste, rend non seulement possible la pensée de son organisation interne, mais aussi l’environnement dans lequel elle se trouve. Alors qu’une immense ville peut couvrir des grandes étendues et donc s’intégrer à des écosystèmes innombrables et très variés (très souvent en les transformant de façon irrémédiable), l’environnement de la cité est assimilable et compréhensible pour un être humain. Il faut choisir avec attention le lieu d’implantation des cités et, une fois implantées, bien connaître leurs écosystèmes, pour adapter notre vie à leur réalité en même temps que nous adoptons la nature à nos besoins : « Industrially rounded, the community forms a distinct unit within a natural matrix; it is socially and aesthetically in balance with the area it occupies »[71]. L’environnement n’est donc plus seulement un support physique sur lequel la communauté se construit, il s’agit plutôt d’établir une cité qui répond et s’adapte au lieu qu’elle habite et transforme. C’est reconnaître la dépendance de la cité à la nature pour sa survie et la faire exister en harmonie avec l’unicité de la région particulière où s’établit la cité.

Pour Bookchin, il faut étudier et comprendre en détail les écosystèmes et leur fonctionnement pour créer des façons d’intégrer la cité dans le fonctionnement du lieu général où elle se trouve par l’usage de l’art et de la culture[72].Apprendre, donc, à utiliser les ressources qui émanent des écosystèmes de la communauté pour produire à la fois nos lieux d’habitation et de rencontre. Utiliser le développement technologique justement pour favoriser l’usage de ce qui se trouve tout près de nous. Établir une division du travail et de la production qui favorise d’abord ce qui est fait tout près, pour ensuite, si nécessaire, aller voir dans d’autres communautés pour combler les besoins. Pas d’idéal d’autarcie complète ici, mais une préférence pour ce qui peut être fait par ceux et celles qui habitent la cité. Cette préférence se justifie non seulement par des raisons écologiques, mais aussi par des raisons de diversité productive et d’artisanat : pour Bookchin l’humanité sort gagnante culturellement de la réalisation d’une diversité de produits qui donnent un style et une couleur particulière aux régions d’où ils proviennent. Même chose pour les espèces végétales qui se trouvent dans une cité et ses environs: elles permettent à la fois de maintenir une biodiversité et de concevoir un terroir culinaire qui, lui aussi, participe à enrichir la culture humaine[73].

Bref, la cité est un espace où se mélange vie quotidienne et politique. Elle représente donc tout l’inverse de l’urbanisation qui isole les individus dans des environnements lisses axés sur le travail et la consommation et qui se présente comme inaltérable par les individus concernés qui doivent s’en remettre à de lointains représentant-es politiques pour « s’occuper » du vivre-ensemble. La cité est d’une dimension qui permet que son organisation interne et les écosystèmes qui l’entourent soient compréhensibles pour un être humain sans qu’il faille étudier plusieurs années pour en comprendre l’économie générale. Ce caractère intelligible de la cité est essentiel, car il permet de prendre des décisions démocratiques en toute connaissance de cause en assemblée citoyenne, l’instance politique au cœur de l’organisation politique du municipalisme libertaire.

John Clark, qui a longtemps adhéré aux propositions de Bookchin pour devenir par la suite un critique de sa proposition politique, synthétise bien les aspects qui posent problèmes à cette conception de la cité[74]. D’abord, pour Clark, la valorisation de la figure citoyenne pose un problème de fond. Bookchin souhaite une politique à la fois particulariste et universaliste : on se pense et on agit à partir de la cité – présentée comme le seul lieu à partir duquel on puisse faire de la vraie politique –, mais on doit toujours réfléchir et agir dans une perspective qui englobe l’humanité. Voilà une tension difficile à résoudre quand vient le temps de prendre des décisions concrètes[75]. Pour Clark, il n’est pas du tout certain que l’identification politique se fasse automatiquement à l’organisation la plus proche. On peut se sentir beaucoup plus attaché, par exemple, à son identité nationale que municipale[76]. Même si l’adhésion à la municipalité était entière, encore faudrait-il que soit possible l’organisation politique d’une population aussi nombreuse que celle des sociétés contemporaines. Clark rappelle que si l’on divisait la ville de Paris en organisations politiques de 25 000 personnes, cela signifierait environ 340 unités de prise de décision politique. Ces unités étant vues comme le fondement de l’organisation politique, est-il envisageable de voir autant de lieu de souveraineté politique dans un si petit espace?[77]

L’assemblée citoyenne

Dans le municipalisme libertaire proposé par Bookchin, la prise de décision dans la cité se réalise au sein de l’assemblée citoyenne. « Au lieu de nationaliser et de collectiviser la terre, les usines, les ateliers et les centres de distribution, une communauté écologique municipaliserait son économie et s’associerait avec d’autres municipalités pour intégrer ses ressources dans un système confédéral régional. La terre, les usines, les ateliers seraient contrôlés par des assemblées populaires de communautés libres ».[78] L’assemblée citoyenne, pour Bookchin, est le lieu ultime de la prise de décision. On y décide non seulement les règles de la vie en commun (ce qui est permis et interdit, le partage des devoirs et des responsabilités : disons, le politique), mais aussi des projets qu’on veut réaliser ensemble (la production, la répartition du travail, l’allocation des ressources en fonction des besoins et de l’usage : disons, l’économie). Le tout fonctionne selon la tradition démocratique, c’est-à-dire par le suffrage universel suivant un débat réalisé en face-à-face. Une part importante des travaux de Bookchin est consacrée à faire l’histoire et défendre le modèle de démocratie directe. Les expériences historiques sur lesquels il s’appuie le plus sont l’Athènes de l’Antiquité, les bourgs médiévaux, les sections parisiennes pendant la Révolution et les petites villes de la Nouvelle-Angleterre.

Notre objectif ici n’est pas de restituer la lecture que Bookchin fait de ces expériences clés, mais bien de situer les éléments centraux de l’institution qu’est l’assemblée citoyenne pour ensuite être en mesure de l’analyser. Il est essentiel, pour Bookchin, de contredire les préjugés formulés contre la démocratie, en particulier sur son caractère dysfonctionnel et irréalisable. Son parcours historique a entre autres pour but de souligner que l’humanité a, dans son bassin d’expériences, des moments politiques où cette organisation a été non seulement possible, mais également grandement profitable pour les humains qui y ont participé. « If it could be shown that direct action as a form of self-administration serves to stabilize society, not reduce it to chaotic shambles, the state would be placed in the dock of history as a force for violence and domination. »[79] Pour combattre cette peur que peut susciter la démocratie directe en face-à-face, Bookchin traverse une série d’expériences humaines qui montrent qu’elle a plutôt été liée à des moments d’émancipation et de stabilité.

Comme Castoriadis, il consacre un temps important à l’étude de l’Athènes démocratique et à ses multiples facettes. Son objectif est plus « pragmatique » cependant que celui de Castoriadis. Il n’y cherche pas tant les fondements de l’autonomie politique et de la démocratie, mais bien la démonstration que la démocratie directe peut fonctionner. Athènes lui permet de formuler deux arguments importants sur la taille et la durée. D’une part, une communauté d’environ 30 000 citoyens (le nombre approximatif de citoyens athéniens – la ville comptait plus de 100 000 habitant-es) est en mesure de se gouverner elle-même par la démocratie. C’est précisément le nombre de citoyen-nes auquel Bookchin réfère pour la taille de ses cités[80]. D’autre part, l’expérience démocratique athénienne s’étend sur près de deux siècles. L’histoire de l’Athènes antique que Bookchin dépeint montre que sans sa capacité d’adaptation aux différents contextes politiques et sa résistance aux attaques répétées des aristocrates pour reprendre le pouvoir, elle n’aurait pu perdurer si longuement[81].

L’exemple athénien déboulonne le mythe selon lequel la démocratie directe ne pourrait fonctionner qu’en très petits groupes affinitaires dans des conjonctures très précises. Là où Bookchin rejoint Castoriadis dans son étude de la cité athénienne, c’est au sujet de l’importance de la paideia – ce que nous avons qualifié ci-dessus d’éducation à la vie civique. Pour Bookchin comme pour Castoriadis, la cité devient à la fois un lieu de vie et de politique, mais aussi un lieu d’apprentissage, de développement du caractère. C’est le lieu où les citoyen-nes apprennent l’excellence dans leur vie personnelle, mais aussi l’excellence dans la vie publique. « The polis was not only a treasured end in itself; it was the « school » in which the citizen’s highest virtues were formed and found expression. Politics, in turn, was not only concerned with administering the affairs of the polis but also with educating the citizen as a public being who developed the competence to act in the public interest. »[82] Cette éducation civique veut se fonder sur l’indépendance d’esprit et l’amour pour la réflexion et la discussion. La paideia devient ainsi un argument supplémentaire concernant le caractère réalisable de la démocratie directe en assemblée : l’éducation à la politique et la pratique de la politique elle-même éduque les gens à devenir de meilleurs praticiens de la démocratie directe. Elle les incite également à être plus satisfaits de ce modèle et à ne plus vouloir retourner à d’autres organisations politiques, comme le démontre la résistance des citoyens athéniens à l’égard de l’aristocratie. La démocratie athénienne fournie donc à Bookchin des arguments concernant la quantité de gens qui peuvent s’organiser dans une même assemblée, la durée des démocraties directes et le caractère endogène de la reproduction démocratique par l’éducation civique.

Bookchin puise ensuite dans l’époque médiévale pour construire son histoire de la démocratie. Il trouve dans les petites villes médiévales de l’Europe continentale un argument supplémentaire pour appuyer le caractère réalisable et fonctionnel de la démocratie directe. En effet, dans cette période historique généralement laissée de côté quand il s’agit de penser la démocratie, Bookchin montre le caractère relativement spontané de la démocratie comme organisation politique. Le déclin de l’empire romain et la réduction de l’influence des nobles a laissé aux petites villes médiévales, en particulier les cité-États italiennes, mais aussi les cités flamandes, allemandes et françaises, la possibilité de s’organiser elles-mêmes dans une large mesure. Cet espace de liberté est souvent repris par la population, non pas pour élire un monarque, mais bien pour s’organiser démocratiquement selon des formes variées[83]. Quand les puissants cèdent de l’espace ou sont forcés de le faire, les populations s’organisent naturellement selon des modes de fonctionnement où tous les égaux ont leur mot à dire. Cela advient même lorsqu’elles ont été habituées à des règnes impériaux et centralisateurs. L’organisation démocratique de la vie est plutôt spontanée et son attrait résiste à l’autoritarisme.

Bookchin se sert également de l’histoire française pour démontrer que la prise de décision en assemblée est fonctionnelle et légitime. Cependant, contrairement à ce qu’on pourrait s’attendre, il n’utilise pas l’expérience de la Commune de Paris de 1871. Au contraire, il fait une critique plutôt acerbe du centralisme de l’expérience de 1871 et de sa célébration par Marx[84]. À l’inverse de cette confusion entre l’administration et la décision politique qu’est, selon lui, la Commune, les sections parisiennes de 1792-1793 offrent à Bookchin un exemple utile. En effet, à l’intérieur d’une grande ville comme le Paris de l’époque, il est possible d’instaurer un système de démocratie directe sans recourir à la centralisation ou à l’exclusion de citoyens. Il s’agit de diviser ce grand corps urbain en plusieurs petites sections et de faire de ces sections la base du système de prise de décision politique[85]. Les sections parisiennes réussissent à la fois à prendre des décisions effectives et à conserver un dynamisme et une participation démocratique importants. À partir du moment où les sections ont admis les sans-culottes, les assemblées de citoyens sont fréquentes (hebdomadaire ou bihebdomadaires) et des milliers de citoyens y participent directement[86].

Bookchin s’inspire également de l’expérience démocratique des petites villes de la Nouvelle-Angleterre de la même époque (1770-1790) pour présenter le rapport possible entre démocratie directe et économie. D’abord, ces espaces démocratiques sont l’occasion de définir le style de vie et les priorités de ces communautés en matière économique (leur rapport au travail, leur indépendance à l’égard des autres communautés, les travaux communs à réaliser, etc.)[87]. Ensuite, ces assemblées sont un lieu de prise de décision concernant les politiques économiques au sens plus contemporain du terme : « « When the eighteenth-century Yankee reflected on government, » observes Robert A. Gross, « he thought first of his town. Through town meetings, he elected his officials, voted his taxes, and provided for the well-ordering of community affairs. The main business of the town concerned roads and bridges, schools, and the poor” »[88]. Donc, la démocratie directe n’est pas utile que pour la gestion des affaires politiques et de la vie en commun. Elle peut aussi régir ce dont s’occupe aujourd’hui la politique professionnelle : perception des taxes, financement des services publics, organisation du travail, etc. Elle peut également dépasser cette vision étroite de l’économie selon Bookchin et gérer l’organisation de la production et l’allocation des ressources[89].

Bref, en se fondant sur des exemples historiques variés, Bookchin défend l’idée que la démocratie est une organisation politique qui peut être tout à fait fonctionnelle. Par l’exemple athénien, il peut démontrer que ce mode de gouvernement a fonctionné pendant plus de 200 ans dans des communautés de plus de 30 000 personnes, et ce, même avec des moyens techniques très peu avancés. Grâce aux petites villes médiévales, il montre le caractère relativement spontané de la démocratie directe. Les sections parisiennes de la Révolution française lui permettent de rappeler qu’il est possible de faire fonctionner de grandes villes par la démocratie directe si on les organise adéquatement. Enfin, les petites villes de la Nouvelle-Angleterre lui permettent de constater que la démocratie directe permet de réguler des décisions économiques importantes.

Chez Bookchin, la démocratie – l’assemblée se réunissant fréquemment et offrant des possibilité d’échange politique en face-à-face – s’oppose à l’État tel que constitué dans les sociétés contemporaines. D’abord, les deux traditions politiques diffèrent d’origine. À l’opposé de l’histoire de la démocratie dont nous venons de résumer brièvement quelques pans, l’État d’aujourd’hui trouve sa genèse selon Bookchin dans le centralisme impérial et la monarchie[90]. L’État est d’abord une machine à faire régner la volonté d’une personne sur tout le corps social. Même après la relative « démocratisation » de l’État – il n’y a plus un seul empereur mais des groupes d’élus plus ou moins nombreux – la fonction de la machine étatique est encore de rendre réelle la volonté de ces gens et d’assurer la bonne marche du reste de l’organisation sociale[91].  Cette volonté ne se traduit souvent pas par des arrangements concrets de la vie quotidienne pour assurer les meilleures façons de vivre ensemble, mais bien par la construction d’immenses structures sociales, politiques ou architecturales qui sont en fait la cristallisation du pouvoir collectif dirigé par une seule impulsion[92]. « The political principle, in the form of the state, dissolves the last vestiges of the social principle, replacing all community ties by bureaucratic ones. Personified space and the human scale disintegrate into institutional space and urban gigantism. »[93]Le politique devient dès lors une force abstraite – déconnectée de la vie quotidienne des gens et organisée autour du partage du pouvoir d’une certaine élite et de l’organisation économique, sociale et spatiale de ses volontés –, mais qui a sur la vie des gens des effets bien concrets. Ces effets semblent venir d’en haut – évoquant en cela l’hétéronomie décrite par Castoriadis – et ne sont plus compris comme ayant un caractère politique, mais bien comme étant des fatalités extérieures au contrôle des humains sur leur propre vie[94]. La bureaucratie, dont le travail principal est d’agir comme courroie de transmission entre ce qui est décidé et l’application de la décision, vient remplir le vide laissé par l’implication politique dans la cité. Le lien social se transforme ainsi non plus en un espace de discussion sur les finalités de l’action humaine, mais bien en un rapport entre dirigeant-es et dirigé-es. La liberté, purement négative, devient alors le moment où l’on ne reçoit plus d’ordre de personne et où l’on peut vaquer calmement à ses activités privées[95].

Agissant alors comme une paideia inversée, l’apprentissage de la politique hiérarchisée, centralisée et fondée sur le pouvoir étatique vient former des individualités qui intègrent complètement ce rapport de soumission à l’État et à ses volontés. « By using guilt and self-blame, the inner State can control behavior long before fear of the coercive powers of the State have to be invoked. Self-blame, in effect, becomes self-fear – the introjection of social coercion in the form of insecurity, anxiety and guilt. » [96] C’est l’apprentissage de l’obéissance, du renoncement à son autonomie et à son pouvoir politique et de l’adaptation complète à la norme sociale, d’une part, pour la majorité et le luxe et la licence, d’autre part, pour l’élite dirigeante. Le conflit et le traumatisme ne s’impriment donc pas seulement dans la société, mais marquent aussi l’esprit des individus. C’est le caractère profondément anti-démocratique de l’État que Bookchin veut attaquer. Il souhaite éliminer les lieux où est réduite à néant la capacité des humains à choisir eux-mêmes la direction que prennent leurs vies. Faire de l’ensemble des citoyen-nes assemblés le cœur du pouvoir décisionnel politique réussit à la fois à investir chacun d’un pouvoir direct sur sa réalité, à réduire les liens purement hiérarchiques et bureaucratiques ainsi qu’à éviter d’intérioriser la culpabilité et la domination.

Quand on associe ce mode de prise de décision démocratique au contexte d’après-rareté décrit ci-dessus, d’importantes questions sont soulevées sur la prise de décisions économiques. En effet, comme le souligne Takis Fotopoulos[97], le contexte d’après-rareté permet à Bookchin de présenter sinon comme inutile, voire comme secondaire toute volonté de mettre en place des institutions économiques; les décisions économiques se prendraient en effet de la même façon que les décisions politiques, en assemblée. Comme il n’y a pas de rareté, il n’y a aucun besoin d’un système d’allocation des ressources ou de planification[98], il s’agit simplement d’adopter une série de principes éthiques pour guider le partage[99]. Pour Fotopoulos, adhérer à cette idée de Bookchin équivaut à refuser de regarder la réalité économique en face et se fermer les yeux sur un des problèmes les plus importants d’un projet émancipateur : l’organisation économique. « [F]or any liberatory project to look realistic and not just a utopia it has to include a visualisation of the institutions, which would allow a democratic decision-taking in the context of a scarcity society. It is therefore utterly inadequate for a realistic liberatory project just to be involved in wishful thinking about how a moral economy will solve, more or less automatically, all economic problems (if the term is appropriate) of a mythical post-scarcity society. »[100]

Le confédéralisme

Les institutions du municipalisme libertaire peuvent sembler bien locales et isolées présentées ainsi. Elles peuvent donner l’impression d’entités auto-suffisantes sans lien les unes avec les autres, comme si nos vies se réduisaient à l’environnement qui est le plus près de nous. Il ne faut pas confondre, chez Bookchin, l’entièreté de l’espace politique et son origine. Le point de départ du politique pour Bookchin est effectivement l’environnement proche et la réalité quotidienne, cela ne signifie pas que l’activité politique s’y limite pour autant. Pour relier les différentes cités, Bookchin propose le confédéralisme, un mode de coordination des entités politiques qui conserve le pouvoir à la base : « It is above all a network of administrative councils whose members or delegates are elected from popular face-to-face democratic assemblies, in the various villages, towns, and even neighborhoods of large cities. »[101] Les délégué-es de ces assemblées confédérales sont mandatés par leurs assemblées citoyennes locales et peuvent être destitués à tout moment. Les assemblées confédérales sont un lieu de coordination des décisions prisent ailleurs et non un lieu de prise de décision en soi. Le confédéralisme de Bookchin consiste en des cercles concentriques de cités qui se rassemblent en confédérations qui se rassemblent elles-mêmes en de plus grandes confédérations. Il mobilise l’image de la « commune des communes » pour qualifier le confédéralisme et bien montrer le caractère horizontal de cette structure. Nous verrons l’histoire que Boockhin fait des organisations politiques confédérales, mais aussi deux principes qui sont au cœur du confédéralisme : la délégation et la division entre administration et décision politique. Bookchin veut montrer la pertinence et la faisabilité du confédéralisme en faisant l’histoire de deux périodes où le confédéralisme a été au cœur de l’organisation politique. Il revient à la Grèce antique et s’attarde sur les différentes confédérations alors misent en place et il se penche également sur la Ligue grise dans la Suisse des 16e, 17e  et 18e siècles.

Les cités de la Grèce antique se rassemblaient en confédération surtout pour des raisons militaires. Bien sûr, les débats de ces confédérations portaient parfois sur leurs échanges culturels et commerciaux, mais les grands sujets de débats politiques étaient d’abord et avant tout les campagnes guerrières qu’entreprenait ou que subissait la confédération. Dans le cas de certaines confédérations, la tenue des grandes réunions des cités se faisait justement au début du printemps et à la fin de l’automne, moments qui marquent respectivement le début et la fin des campagnes militaires[102]. L’information sur le fonctionnement interne de ces confédérations est partielle et peu abondante. On sait qu’elles avaient des modes d’organisation différents les unes des autres et que pour chaque confédération ces modes d’organisation se sont transformés dans le temps. Cependant, il se dégage une constante dans leur organisation : les institutions sociales des confédérations étaient souvent semblables à celles qui étaient internes aux cités qu’elles rassemblaient. Ainsi, les confédérations les plus démocratiques comprenaient elles aussi une ecclesia comme organe politique central, tandis que les confédérations comprenant des cités moins démocratiques étaient centrées sur des modes hiérarchiques et centralisateurs[103].

Les confédérations les plus démocratiques (comme le furent à certaines époques les ligues étoliennes et achéenne) sont celles qui intéressent le plus Bookchin. Contrairement à ce qu’on pourrait penser, elles n’utilisent pas de délégation élective pour représenter les différentes cités, l’élection étant vue comme une pratique aristocratique par les Grecs d’alors[104]. Lors des réunions confédérales des milliers de personnes étaient donc attendues. Elles parcouraient à pied des distances qui mettaient alors plusieurs jours à traverser pour aller débattre de l’avenir de leur confédération[105]. La leçon que Bookchin tire des Grecs anciens est donc que, pour eux, il ne s’agissait pas tant de réduire le nombre de participants aux assemblées confédérales, mais bien de cibler clairement l’objet de leur décision. Comme dans ces assemblées confédérales il est surtout question d’aller ou non à la guerre (et contre qui, et comment) et que les citoyens des villes sont précisément ceux qui seront envoyés à la guerre; il apparaît finalement assez sage que tous ceux qui peuvent y participer le fassent. Il s’agit, après tout, directement de leur vie ou de leur mort prochaine.

Le cas des Trois Ligues (1524-1799) – situées dans ce qui est aujourd’hui le canton des Grisons dans la partie la plus orientale de la Suisse – trouve d’étonnants points communs avec les confédérations de la Grèce antique. Ce regroupement de 222 communes est fondé sur des principes de démocratie et de partage de la terre et des biens qui sont peu connus dans l’histoire. En effet, dans ces territoires, les pouvoirs économiques et politiques étaient dévolus aux communes. Dans ces communes, le partage des biens se faisait en fonction du besoin plutôt que de critères de propriété, et les fruits de la nature (la terre arable, mais aussi les rivières, les minéraux, etc.) appartenaient à la municipalité et étaient à partager entre les résident-es. Bookchin souligne à quel point cette organisation lui semble appropriée et bien différente du mode de socialisation mis de l’avant par les communistes ou les anarchistes orthodoxes qui font inévitablement le choix de la centralisation[106]. Une organisation confédérale lie ces ligues entre elles :

The confederal system that united the communes had the right to deal with foreign affairs and little more. Beyond this sphere, confederal bodies were concerned mainly with preventing their component leagues from making foreign alliances on their own. Issues such as war and peace were decided directly by the communes themselves. « The only instrument of the central government was a three-man commission (Haupter) made up of the heads of each of the leagues that, with the assistance of an elective assembly (Beytag), prepared the referendum and executed the will of the communes, » [Benjamin] Barber tells us. « In the new structure power was an inverse function of level of organization. The central « federal » government had almost non, the regional communes had a great deal. » Whatever its capacity to deal with the problems that confronted the Free State, the people were provided « with several centuries of real thoughtful independence and a measure of autonomous self-government rare in Germanic Europe ».[107]

Comme on le voit, les Trois Ligues procèdent effectivement à des élections pour la gestion des affaires régulières en matière de rapports internationaux, mais dès qu’une question importante est soulevée, elles procèdent à une consultation de leurs membres par référendum. S’il y a donc effectivement des élus, leur pouvoir se restreint à consulter et à appliquer, le véritable pouvoir décisionnel appartenant aux communes et à leurs
résident-es.

Comme pour son histoire de la démocratie directe, l’histoire du confédéralisme que parcourt Bookchin lui permet d’affirmer que ce mode d’organisation politique est tout à fait fonctionnel. On y constate que pendant plusieurs siècles Grecs et Helvètes ont vécu selon cette organisation décentralisée et ont bénéficié de nombreux avantages, et ce, sans avoir les capacités technologiques d’aujourd’hui en matière de télécommunication.

Comme Castoriadis, Bookchin craint la professionnalisation du politique et l’éloignement des lieux de prise de décisions des gens qui sont directement concernés par ces décisions. Il propose que les délégué-es qui sont envoyés dans les instances confédérales soient responsables de leurs décisions, détenteurs de mandats clairs et révocables à tout instants. Leur rôle est surtout de transmettre les informations et de faciliter la prise de décision par les assemblées et non de prendre des décisions politiques[108]. Pour Bookchin, une grande erreur liée à la délégation (à l’intérieur des cités comme des confédérations) est de confondre la décision politique et l’application administrative de celle-ci. Les élu-es peuvent bien s’occuper de la dernière, mais la première doit être réservée aux citoyen-nes assemblés, sous peine de voir rapidement le pouvoir se concentrer dans les mains des élu-es. « The danger of delivering policy-making decision to an administrative body, which normally is a delegated body and often highly technical in character, is redolent with elitism and the usurpation of public power. A direct democracy is face-to-face and unabashedly participatory. »[109] La prise de décision en conseil ou dans des bureaux politiques fermés est tout le contraire de cette logique. Si une certaine coordination ou organisation des travaux peut se faire à partir de ces lieux, aucune décision ne peut y être prise sous peine de dépolitiser le reste de la société. La conception contemporaine du politique nous a tellement habitués à donner tout le pouvoir à des gens élus qu’il peut être difficile de saisir la différence entre l’administration et la prise de décision politique. Cependant, en faisant l’expérience jour après jour de prendre les décisions eux-mêmes à travers les institutions du municipalisme libertaire, Bookchin est confiant que les gens apprendront non seulement à les distinguer aisément, mais seront très vigilants de ne pas céder ces pouvoirs à d’autres [110].

La proposition confédérale a certainement l’avantage de permettre de sortir les unités politiques de l’isolement, mais comme on l’a vu, ce procédé ne s’accomplit pas sans établir un rapport complexe entre centralisation et décentralisation. Conscient de ce problème, Bookchin met en place plusieurs garde-fou pour empêcher une prise de contrôle centralisé du municipalisme libertaire. Malgré tout, en accordant aux assemblées confédérales d’importants pouvoirs, comme ceux de faire respecter les droits humains fondamentaux ou d’imposer certaines visions communes sur l’environnement[111], ne réintroduit-il pas l’idée d’État dans son système[112]? Comme le souligne Damian White, cela soulève nombre de questions auxquelles Bookchin n’offre pas de réponse : comment régler les désaccords entre les unités de base et l’unité confédérale sans sombrer dans une forme de fédéralisme centralisé? Jusqu’à quel point est-il possible de réguler les gestes individuels des citoyens (y a-t-il intervention d’une police?) et, si aucun moyen coercitif n’est en place, comment assure-t-on l’équilibre entre droits et responsabilités[113]? En s’abstenant de répondre à ces questions, Bookchin laisse inachevé un pan difficile de la réflexion autour du projet émancipateur qu’il propose.

Résumé des institutions de l’émancipation selon Bookchin

Pour Bookchin l’émancipation qui aura lieu se fera inévitablement dans le contexte de l’après-rareté. Les capacités technologiques que l’humanité a acquises jusqu’ici permettant de satisfaire aux besoins de tous et chacun, il faudra trouver à la fois l’organisation sociale et l’éducation des individus nécessaires pour bien partager ces ressources, en fonction des besoins et non des désirs. Il faut également généraliser le développement et l’adoption d’une technologie appropriée pour une société écologique. Une telle technologie permet d’étendre et non de restreindre la démocratie, est complémentaire avec les écosystèmes et n’essaie pas de dominer la nature, mais réduit considérablement notre impact sur celle-ci. Il est aussi nécessaire, selon Bookchin, de retourner vers une certaine forme d’artisanat pour relancer l’esprit créatif et communautaire d’une localité. Il faut actualiser des préceptes inspirés des sociétés organiques qui centrent l’économie sur la vie humaine. Par exemple, en allouant les biens et les ressources en fonction de l’usufruit plutôt que de la propriété, on s’assurera de mieux répondre aux besoins. De plus, en tentant d’amoindrir les différentes inégalités qui nous séparent, entre autres par l’implantation du minimum irréductible, on maximisera la liberté individuelle et collective.

La vie politique et économique dans le municipalisme libertaire a lieu dans la cité. À la fois lieu de vie et lieu d’implication politique, la cité permet de lier directement les conséquences de la politique sur la vie. Simple et à l’échelle humaine, la cité permet aussi d’intégrer la vie des gens à l’environnement qui les entoure. À l’intérieur de cette cité, la vie s’organise dans l’assemblée citoyenne qui fonctionne selon les principes de la démocratie directe. Cette organisation politique est fonctionnelle et réalisable comme le montre sa longue histoire. Elle s’oppose à l’État et à la transformation de la politique en rapport hiérarchique et bureaucratique. Les différentes cités s’organisent entre elles grâce au confédéralisme qui fonctionne avec des délégué-es élus mais révocables à tout moment et dotés de mandats fermes. Ces délégué-es se consacrent surtout à susciter les discussions pour que les assemblées citoyennes prennent les décisions et à appliquer ces décisions administrativement.

[1]Bookchin Murray, The Ecology of Freedom : the Emergence and Dissolution of Hierarchy, Oakland, AK Press, 2005, p.444-445.

[2] Voir Tremblay-Pepin, Simon, Contribution a Une Economie Politique de L’emancipation, Université York, mai 2015, 18-23.

[3]Bookchin Murray, Post-scarcity Anarchism, Palo Alto, Ramparts Press, 1977, pp.288p.

[4]Gray John, Endgames Questions in Late Modern Political Thought, Cambrigdge, Polity, 1997, 204 p. ; Murphy Raymond, Rationality And Nature: A Sociological Inquiry Into A Changing Relationship, Westview Press, 1994, 295 p.

[5]Bookchin Murray, Post-scarcity Anarchism, op. cit., p. 11.

[6]Marx Karl, « Le Capital », Œuvres Économie I, Paris, Gallimard, 1963, p. 561-838.

[7]Bookchin Murray, Post-scarcity Anarchism, op. cit., p.10.

[8]Les exemples les plus frappants sont visibles dans des ouvrages comme celui-ci : Menger Carl, Principles of Economics, New York, New York University Press, 1981, p.77-79.

[9]Bookchin Murray, The Ecology of Freedom, op cit., p.295.

[10]Ibid., p.138.

[11]Bookchin Murray, Post-scarcity Anarchism, op. cit., p.11.

[12]Ibid.

[13]Bookchin Murray, The Ecology of Freedom, op. cit., p.138. Bookchin souligne.

[14]Ibid., p.300. Bookchin souligne.

[15]White Damian F., Bookchin: A Critical Appraisal, Londres, Pluto Press, 2008, p. 78-81.

[16]Carson Rachel, Silent Spring, Boston, Houghton Mifflin Harcourt, 1962, 378p. Cet ouvrage est souvent présenté comme un livre pionnier dans la sensibilisation du grand public aux problèmes environnementaux.

[17]Herber Lewis (Bookchin Murray), Our Synthetic Environment, New York, Knopf, 1962, 338 p.

[18]Bookchin Murray, The Ecology of Freedom, op. cit. p.327.

[19]Ibid., p.343-344.

[20]Prenons par exemple les efforts déployés pour favoriser la « littéracie informatique », qui vise seulement l’acquisition l’information nécessaire pour devenir des utilisateurs et utilisatrices compétents et les défis qui y sont reliés (Voir par exemple Lankshear C., Knobel, M. (Eds.) : Digital Literacies: Concepts, Policies and Practices,  New York, Peter Lang Publishing, 2008, 321 p.). Ces efforts importants ne mènent qu’à la formation d’utilisateurs qui n’ont aucune idée de comment fonctionnent les machines qu’ils utilisent.

[21]Schumacher E. F, Small is beautifull: une société à la mesure de l’homme, Paris, Contretemps / Le Seuil, 1978, 316 p.

[22]Bookchin Murray, From Urbanization to Cities : Toward a New Politics of Citizenship, London, Cassell, 1995, p.237.

[23]Bookchin Murray, The Ecology of Freedom, op. cit., p.348.

[24]Suivant l’inspiration de Lewis Mumford, Ibid., p.327.

[25]Ibid., p.354.

[26]Bookchin Murray, Une société à refaire : vers une écologie de la liberté, Montréal, Éditions Écosociété, 2011, p. 61-62. Bookchin souligne.

[27]Ibid., p.64-66.

[28] Pour reprendre le titre de son ouvrage The Philosophy of Social Ecology : Essays on Dialectical Naturalism, Black Rose Books, 1996, 198 p.

[29]Leff Enrique, « Murray Bookchin and the end of dialectical naturalism », Capitalism Nature Socialism, vol. 9, 4, 1998, p. 67–93.

[30]Eckersley Robyn, « Divining Evolution: The Ecological Ethics of Murray Bookchin », in Andrew Light (dir.) Social ecology after Bookchin, New York, Guilford Press, 1998 coll. «Democracy and ecology», p. 58–75.

[31]Ibid., p.69.

[32]Ibid., p.71-72.

[33]White Damian F., Bookchin, op. cit., p.123-126.

[34]Bookchin Murray, Post-scarcity Anarchism, op. cit., p.117-118.

[35]Ibid., p.135-136.

[36]Ibid., p.129-130.

[37]Bookchin Murray, The Ecology of Freedom, op. cit., p.444-445.

[38]Ibid., p.116-117.

[39]Ibid., p.407-408.

[40]On consultera www.social-ecology.org pour plus d’information. [consulté le 23 mars 2013].

[41]Bookchin Murray, The Ecology of Freedom, op. cit., p.66.

[42]Bookchin Murray, Post-scarcity Anarchism, op. cit., p.74-75.

[43]Ibid., p. 129-130.

[44]Clark John, « Municipal Dreams – A Social Ecological Critique of Bookchin’s Politics », in Andrew Light (dir.) Social ecology after Bookchin, New York, Guilford Press, 1998 coll. «Democracy and ecology», p. 167-170.

[45]Watson David, Beyond Bookchin: preface for a future social ecology, Detroit, Autonomedia et Black & Red, 1996, p. 169-187.

[46]Ibid., p.181-182.

[47]Bookchin Murray, « Social Ecology versus ’Deep Ecology – A Challenge for the Ecology Movement », Green Perspectives, vol. 4, 5, 1987, p. 1–23.

[48]Bookchin Murray, The Ecology of Freedom, op. cit., p. 150-151.

[49]Watson David, Beyond Bookchin, op. cit.

[50]Rudy Alan P., « Ecology and Anthropology in the Work of Murray Bookchin – Problems of Theory and Evidence », in Andrew Light (dir.) Social ecology after Bookchin, New York, Guilford Press, 1998 coll. «Democracy and ecology», p. 265–297.

[51]Ibid., p.266.

[52]White Damian F., Bookchin, op. cit. p. 41-48.

[53]On lira, entre autre, à ce sujet : Bookchin Murray et Foreman Dave, Defending the Earth: A Dialogue Between Murray Bookchin and Dave Foreman, Boston, South End Press, 1991,147 p.

[54]Bookchin Murray, The Ecology of Freedom, op. cit., p.116-117.

[55]Ibid., p.156-157.

[56]Ibid., p.219.

[57]France Anatole, Le lys rouge, 1894.

[58]Bookchin Murray, The Ecology of Freedom, op. cit., p.219.

[59]Ibid., p.241-243.

[60]Ibid.

[61]Ibid., p.222-227.

[62]Ibid., p.218-219.

[63]Ibid., p.419.

[64]Bookchin Murray, From Urbanization to Cities, op. cit. p.261-262.

[65]Ibid., p.84.

[66]Ibid., p.223.

[67]Ibid., p.61.

[68]Ibid., p.88.

[69]Ibid., p.237.

[70]Bookchin Murray, The Ecology of Freedom, op. cit., p.443-444.

[71]Bookchin Murray, Post-scarcity Anarchism, op. cit., p.117.

[72]Ibid., p.129-130.

[73]Ibid., p.79-80.

[74]Clark John, “Municipal Dreams – A Social Ecological Critique of Bookchin’s Politics”, op. cit.

[75]Ibid., p.46-148.

[76]Ibid., p.153.

[77]Ibid., p.167-168.

[78]Bookchin Murray, Une société à refaire : vers une écologie de la liberté, Montréal, Éditions Écosociété, 2011, p. 287.

[79]Bookchin Murray, The Ecology of Freedom, op. cit. p. 206.

[80]Bookchin Murray, From Urbanization to Cities, op. cit., p. 43-48.

[81]Ibid., p. 243.

[82]Ibid., p.63.

[83]Ibid., p.94-95.

[84]Bookchin Murray, The Ecology of Freedom, op. cit., p.437.

[85]Bookchin Murray, From Urbanization to Cities, op. cit., p.111-112.

[86]Ibid., p.112-113.

[87]Ibid., p.209-210.

[88]Ibid., p.211.

[89]Ibid., p.265.

[90]Bookchin Murray, The Ecology of Freedom, op. cit., p.327.

[91]Ibid., p.332.

[92]Ibid., p.343-344.

[93]Bookchin Murray, The Limits of the City, New York, Harper & Row, 1974, p.137.

[94]Bookchin Murray, From Urbanization to Cities, op. cit., p.261-262.

[95]Bookchin Murray, The Ecology of Freedom, op. cit., p.199-200.

[96]Ibid., p. 189.

[97]Fotopoulos Takis, « Addendum: The ID Project and Social Ecology », The International Journal of Inclusive Democracy, vol. 1, 3, 2005, p. 1–11. Une critique que partage John Clark.

[98]Murray Bookchin, « Comments on the International Social Ecology Network Gathering and the “Deep Social Ecology” of John Clark », Democracy & Nature, Vol. 3, No 3, p. 185.

[99]Fotopoulos Takis, “Addendum: The ID Project and Social Ecology”, op. cit., p.7.

[100]Ibid., p.9.

[101]Bookchin Murray, From Urbanization to Cities, op. cit., p.252.

[102]Ibid., p.140.

[103]Ibid.

[104]Ibid., p.138.

[105]Ibid., p.140-141.

[106]Ibid., p.204.

[107]Ibid., p.205.

[108]Ibid., p.252.

[109]Ibid., p.435.

[110]Ibid., p.63.

[111]Bookchin Murray, « The Meaning of Confederalism », Green Perspectives, 20, 1990, disponible sur: http://theanarchistlibrary.org/library/murray-bookchin-the-meaning-of-confederalism.

[112]Comme le propose Barry John, Rethinking Green Politics, Londres, Sage, 1999, p.90.

[113]White Damian F., Bookchin, op. cit., p.173-174.

 

Dans le cadre du projet de recherche en cours :
Planification économique démocratique

Axes de recherche :
Émancipation