Il y a 43 prisons fédérales au Canada, incarcérant 14015 personnes (Service correctionnel Canada, 2018). Derrière les barreaux, la nourriture a une grande importance; c’est une source de nourriture, une marchandise appréciée dans l’économie informelle, un outil à la fois de punition et de guérison et un moyen d’exprimer son identité (Godderis 2006, Timler et Brown 2019, Jimenez Murguia 2018). Smith va jusqu’à affirmer que la nourriture est «symbolique de l’expérience carcérale» (2002: 197). La nourriture est également devenue un site et un outil de contestation et de rapports de pouvoir (Brimasn 2008). Des grèves de la faim, aux programmes agricoles et de jardinage, la nourriture est un moyen de résister à la violence de l’État et de réinventer l’avenir post-carcéral.
Compte tenu de ces divers rôles et significations, les systèmes alimentaires carcéraux constituent un domaine d’étude unique et convaincant qui implique une gamme d’acteurs et d’organisations tant à l’intérieur qu’à l’extérieur des établissements correctionnels. Malgré cela, peu de recherches ont été menées pour comprendre et analyser les systèmes alimentaires carcéraux, particulièrement en tant que site de contestation et de possibilité, et dans le contexte canadien.
En réponse, ce projet explorera la nourriture en tant que «terrain contesté» (Brisman 2008) au sein du système carcéral canadien, cherchant à (1) cartographier les principaux acteurs et relations impliqués dans les systèmes alimentaires carcéraux et (2) analyser des moments et des sites particuliers où la nourriture a été considérée comme un outil pour contester le traitement des prisonniers et pour articuler des possibilités alternatives.
Il identifiera et examinera les possibilités et les limites de la justice alimentaire transformatrice au sein des systèmes alimentaires carcéraux au Canada. Ce faisant, ce projet de recherche illustrera les interactions complexes entre la nourriture et la carcéralité et mettra en évidence les points de solidarité et de tension possibles entre les mouvements sociaux prônant la justice alimentaire (mouvement alimentaire) et ceux qui prônent la justice des prisonniers (mouvements de justice transformative). L’accent sera mis au niveau fédéral, avec la possibilité de procéder à une analyse comparative sélective des compétences provinciales (principalement en Ontario et au Québec).
Deux études de cas spécifiques ont été identifiées pour une analyse approfondie: la résistance à l’Initiative de modernisation des services d’alimentation (2014) et les campagnes entourant la fermeture (2009) et la réouverture (2018) des prisons agricoles du Canada. Ces deux cas ont été, et restent, des moments notables où a) des changements importants ont été apportés aux systèmes alimentaires carcéraux et b) le débat et le «terrain contesté» de la nourriture carcérale se sont répandus dans le discours public et populaire. À première vue, ces deux cas ne semblent pas liés et ont certainement été traités comme tels par les défenseurs, les médias et le Service correctionnel Canada. Cependant, ils sont en fait inextricablement liés et pointent vers un phénomène plus large de la nourriture comme outil de punition, de contestation, mais aussi de préfiguration, à l’intérieur et au-delà des murs de la prison.
S’appuyant sur une approche de méthodes qualitatives mixtes, y compris des entrevues, l’observation des participants et l’examen et l’analyse des documents du gouvernement fédéral, ce projet cartographiera et analysera de manière critique les systèmes alimentaires carcéraux contemporains au Canada, en mettant en évidence les diverses façons dont les aliments sont utilisés pour mettre en œuvre diverses possibilités, dans et au-delà des prisons. Ce projet entreprendra également une analyse historique pour cartographier les changements notables dans les systèmes alimentaires carcéraux canadiens afin de mieux comprendre les possibilités qu’ils cultivent et excluent.
Ce projet est dirigé par la professeure Amanda Wilson, avec le soutien de deux assistants de recherche. Il durera environ deux ans, à compter de l’automne 2020.
Nous remercions le Conseil de recherche en sciences humaines du Canada pour le financement de ce projet pour les années 2020-2021.