Vers une intégration inclusive et durable des petites entreprises communautaires dans le marché international

Arelis Medina-Recio, étudiante à la maîtrise en innovation sociale, Université Saint-Paul

  1. Sommaire

Pour les petites entreprises communautaires, l’ouverture au progrès technologique et aux standards internationaux s’avère inévitable. La modernisation chez elles commence avec l’utilisation des outils numériques dans la gestion interne, la communication par internet et le commerce électronique avec partenaires clés (ex. gouvernement, fournisseurs, réseaux, clients). Cette ouverture répond au contexte économique actuel dominé par une 4e révolution industrielle où le savoir « intelligent » et la connectivité numérique créent de nouvelles approches aux marchés et aux clients.

La connectivité en particulier efface les frontières entre pays et régions et place la concurrence des entreprises à une échelle internationale. Dans ce contexte, et malgré la diffusion rapide des technologies numériques et les avantages qu’elles offrent, les petites entreprises affrontent de nouveaux obstacles. Ces obstacles s’ajoutent à ceux liés notamment à leur taille, comme les compétences (internes à l’entreprise), financement et infrastructure d’appui. Les entreprises les plus petites font face à un écart plus grand et croissant concernant l’adoption des technologies numériques. En conséquence, leurs communautés-objectif risquent de profiter de moins en moins des avantages compétitifs que la transformation numérique apporte. Comment gérer le risque des inégalités et apporter bien-être à la communauté ?

Le potentiel de ces entreprises de surmonter les obstacles, innover socialement et contribuer au bien-être de leurs communautés n’est pas négligeable. Elles sont des acteurs d’innovation locaux capables avec les bonnes approches de répondre aux défis de nos jours. Les coopératives par exemple sont des entreprises communautaires proches de leurs localités surtout quand elles collaborent étroitement à leur gestion. La capacité et disponibilité de ces entreprises locales à se préparer elles-mêmes et à préparer leurs communautés à entrer dans le ‘nouvel âge numérique’ est l’aspect le plus intéressant à explorer.

Des efforts innovateurs d’intégration des technologies numériques existent, surtout parmi de grandes coopératives à but lucratif du secteur agricole et agroalimentaire. Ils sont des initiatives de terrain axées fondamentalement sur des technologies ‘intelligentes’ (ex. l’intelligence artificielle et l’analytique des données). Cependant, nous ne savons pas dans quelle mesure elles conduisent à un transfert du savoir.

Une transformation numérique plus démocratique et durable va au-delà de la mise en place de technologies modernes. Elle implique la gestion de risque d’exclusion créée par l’écart numérique et les inégalités salariales croissantes. Comme réponse les gestionnaires d’une entreprise transformatrice seraient capables d’introduire de nouvelles approches et pratiques alignés avec une vision d’intégration vers l’âge numérique. Cela implique des stratégies ‘à deux voies’ que visent : (a) à renforcer la compétitivité et (b) à repositionner la communauté vers l’international. Il serait une stratégie d’ouverture en harmonie avec les valeurs sociales et donc ‘inclusive du savoir local’.

  1. Introduction : La transformation numérique

Les petites entreprises communautaires ne peuvent plus ignorer la réalité d’une économie mondiale qui les affecte et qui est devenue plus complexe, connectée et imprévisible.

La transformation numérique est la pratique dominant dans le XXIe siècle et celle que définit le progrès technologique de l’époque.  Nous sommes à la scène d’un contexte dominé par la croissance d’une « industrie 4.0 » ou ce qu’on appelle la quatrième révolution industrielle. Elle apporte la transformation numérique et la connectivité des personnes, choses, processus, services et données dans toutes les parties et processus de la production industrielle. ‘Industrie 4.0’ est née en Allemagne dans le secteur industriel, mais s’est répandu au-delà de ce secteur productif et vers la société en général.

La révolution industrielle actuelle trace le ‘sentier’ à suivre, mais c’est l’engagement des entreprises vers la communauté le vrai déclencheur de la transformation. Dans ce sens, nous sommes intéressés à explorer l’impact d’un processus de modernisation où de transformation numérique peut être influencé « de bas vers le haut ». Nous voulons vérifier dans quelle mesure en tel processus serait non seulement possible, mais durable. Durant mon expérience professionnelle avec des petites entreprises rurales en Asie et l’Amérique latine, j’ai constaté comment l’absence de l’aspect technologie dans les plans et design du développement de ces entreprises ne leur faisait pas justice. Plus tard, j’ai commencé ma recherche afin de vérifier : (a) si l’adoption d’une technologie moderne alignée avec la réalité d’une communauté rurales est viable et (b) si cette adoption peut se faire de façon participative dans un contexte internationalisé. Je suis à la recherche des sources de validation auprès la théorie de l’innovation sociale et l’expérience pratique de certains projets ruraux et agroalimentaires.

L’idée d’une modernisation adaptée aux besoins locaux est un point important à retenir, car elle donne une tournure intéressante aux efforts combinés d’innovation sociale et en même temps technique. Une telle approche à la transformation numérique nous permettrait de prendre en considération les nouveaux problèmes d’inclusion qu’elle apporte aux petites entreprises communautaires. D’abord, les problèmes techniques s’ajoutent aux défis déjà existants et que sont liés autant à son engagement social, comme l’équilibre entre vision social et besoins d’affaires, qu’à sa taille, comme l’accès aux marchés. En général, ces entreprises se voient contraintes à adopter les technologies nouvelles plus accessibles ou essentielles afin de pouvoir entrer -ou garder leur position- dans les marchés dominants. Un accès aux ressources stratégiques comme les compétences, connaissance et financement est nécessaire « pour se faire une place dans une économie mondialisée »[1].

En plus, la transformation numérique apporte la connectivité et le savoir « intelligent », comme les « smart factories » et les villages intelligents. Un résultat important de cette connectivité intelligente est la réduction des frontières géographiques et le déplacement de la compétitivité vers une échelle mondiale. Dans cette situation, le rôle de la collaboration internationale devient plus important, car elle comprend le besoin de dialogue avec les entreprises multinationales qui dominent l’installation des infrastructures numériques.

La transformation numérique permet l’intégration de ‘technologies nouvelles [2] à la chaîne de valeur de l’entreprise et l’automatisation de toutes les branches. Elle est un moteur important dans la croissance de la productivité malgré les défis que l’accompagnent. En particulier, l’organisation de la production et l’utilisation de la main-d’œuvre deviennent plus flexibles, individualisées et personnalisée.  

La réflexion nous amène rapidement à une conclusion comme la suivante : une entreprise qui reconnait le ‘jeu’ de la compétitivité et les implications d’adopter des technologies modernes doit être stratégique. Le risque d’isolement -omniprésent pour toutes les entreprises petites à cause de leur taille- pourrait s’équilibrer avec l’intégration dans des réseaux. Selon quel soit le type de réseau il pourrait offrir à l’entreprise plus d’accès aux compétences et même au savoir technologique. C’est à ce point que la mise en place de ce savoir dans l’entreprise exige des approches innovatrices au dialogue avec les acteurs clés situées au long la chaîne de valeur. A ce point des partenariats efficaces sont nécessaires.

Le choix des technologies alignées avec une gestion stratégique et renforcées par un dialogue participatif avec les acteurs clés déjà mentionnés devrait être un choix efficace et durable. La durabilité de ce choix demande que d’autres éléments soient pris en considération comme, entre autres, une collaboration plus élargie des membres de la communauté. Dans le cas des entreprises communautaires, cette participation implique la prise en compte des besoins et potentiels de la communauté. Nous sommes persuadés que la prise en considération des actifs locaux (soient-ils physiques, humains ou intellectuels) a des récompenses pour l’entreprise. En effet, le marché de travail est essentiellement local, mais tout compte fait les efforts déployés de gestion en commun auraient des résultats aussi durables qu’efficaces.

En conséquence, le choix technologique qui résultent d’un dialogue efficace avec les partenaires clés devrait répondre non seulement au design et aux changements internes nécessaire dans l’entreprise. Il devrait se poursuivre en parallèle avec une stratégie ‘à deux voies’. D’une part, l’entreprise doit prendre en compte des nouveaux modes de gestion ou modèles d’affaires visant la compétitivité. D’autre part, elle doit prendre en compte le repositionnement de la communauté vers l’international. C’est-à-dire, les avantages sociaux que la modernisation de l’entreprise peut apporter à la communauté.

Certainement, le concept d’avantages sociaux peut toujours avoir une connotation subjective, mais en général, la transformation numérique qu’accompagne Industrie 4.0 représente le futur. Elle est « plus une vision qu’une réalité » [3]. Donc, la stratégie de modernisation de l’entreprise socialement engagée nécessite une vision de l’avenir, ou ce que nous définissions comme une vision de l’intégration dans l’âge numérique, afin de pouvoir formuler des réponses aux « bouleversements profonds » qu’elle implique.  Si nous considérons que la transformation numérique est positionnée à changer la façon dont les entrepreneurs font des affaires ainsi que la cohésion sociale en général, l’analyse d’Industrie 4.0 dans comme un processus proche à l’innovation sociale plutôt qu’une innovation purement technique fait du sens.

Selon Buhrs et d’autres auteurs allemands, « une innovation n’est sociale que si elle est socialement acceptée, largement diffusée dans la société ou dans certains pans de la société et devient finalement institutionnalisée ou banalisée comme nouvelle pratique sociale »[4].  À notre avis, une transformation numérique socialement ‘inclusive’ demande le développent ensemble des pratiques par l’entreprise et la communauté. Elle demande aussi de l’entreprise qu’elle soit prête à entrer dans un nouveau contexte international et à développer des partenariats créatifs au long sa chaîne de valeur.

Un changement de mentalité serait aussi nécessaire. La communauté doit faire preuve d’une attitude si bien prudente au moins non méfiante sur le rôle de la technologie. Elle doit adopter ainsi une attitude similaire (donc, réaliste et raisonnable) envers la compétitivité de l’entreprise et l’adoption des standards internationaux.

Comment se passe la transformation ?

Comment expliqueriez-vous la ‘Schéhérazade’ de Rimsky-Korsakov à votre tout-petit enfant ?

Les technologies numériques se comptent parmi les technologies d’avant-garde y compris les systèmes cyber-physiques et les réseaux à travers l’internet. Elles sont complexes et cela explique que leur intégration dans les entreprises peut entrainer des changements dans les processus de création de valeur, la gestion et le choix de la main-d’œuvre[5]. Cela explique aussi le décalage croissant qu’elles créent entre entreprises grandes et petites malgré l’adoption et diffusion rapide de ces technologies à travers des secteurs divers et des entreprises de toutes tailles[6].

Le « fossé numérique » entre entreprises petites et grandes ne fait qu’augmenter[7] surtout quand elle concerne l’intégrations des technologies complexes comme l’analytique des données et l’informatique nuagique. L’écart augmente les inégalités entre régions et industries et des corrections à  l‘aspect élitiste qui se trouve dans le savoir ‘intelligent’ sont nécessaires. Par exemple, le « Forum économique mondial » qui a énoncé la promesse de prospérité que vient avec Industrie 4.0 a signalé aussi le risque que les inégalités croissantes représentent pour les communautés[8]. Parallèlement, le Forum des politiques publiques, Canada signale des risques. Il indique que parmi les avantages de la transformation numérique se trouve un « marché du travail plus compétitif », mais parmi les risques associés au maintien du statu quo se trouve, outre que la cybersécurité, une culture organisationnelle avec « tendance à stagner »[9].

En général, le point d’entrée pour la transition numérique dans l’entreprise se trouve dans les fonctions d’administration générale et de marketing. L’utilisation des médias sociaux et la facturation électronique sont des exemples de technologies très répandues. L’intégration de ces technologies est faite avec l’objectif de connecter avec les clients et suivre les pratiques nouvelles utilisées par le gouvernement et les partenaires dans la chaîne de valeur comme les grandes compagnies de fournisseurs et distributeurs.

Le décalage dans l’adoption des technologies numériques qu’accompagne la croissance d’Industrie 4.0 montre la nécessité d’universaliser le savoir. En plus des inégalités croissantes, autres défis de l’époque numérique sont par exemple le confinement du savoir et la faible croissance économique. Des changements sociaux en profondeur sont nécessaires afin de remédier la polarisation politique et sociale que la transformation numérique entraine.

Une croissance plus inclusive et durable est fondamentale, mais la diffusion des pratiques plus avancées reste limitée aux ‘avant-gardes insulaires’[10] (en utilisant le terme de Mangabeira Unger). Elles sont des groupes contrôlés par une élite entrepreneuriale et technologique qui développe les technologies plus avancées. L’auteur propose comme alternatives les ‘avant-gardes inclusives’ ou des groupes que donnent à une majorité la possibilité et les compétences pour travailler dans une économie du savoir. Pour y arriver, l’auteur propose une réforme éducative est l’établissement des relations collaboratives entre collègues, supérieures et employées[11].

  1. Contexte : La révolution industrielle dans la pratique

« L’économie du savoir » et « l’Industrie 4.0 », ou quatrième révolution industrielle, sont deux grands phénomènes que dominent le XXIe siècle. L’économie du savoir définit un domaine social dans lequel la technologie et les connaissances des travailleurs jouent un rôle fondamental dans le système de production et de consommation. Son origine se remonte aux années 1960 avec la naissance des industries scientifiques, bien que l’intérêt pour la relation entre le savoir scientifique, les systèmes technologiques et la société soit né dans la période d’entre les deux guerres mondiales.[12] Par ailleurs, industrie 4.0 est définit par l’utilisation des technologies modernes et le « savoir intelligent ». Il est un concept né en Allemagne[13] dont l’origine se remonte au processus d’automatisation débuté dans les années 1970.

a. Industrie 4.0

La transformation numérique implique l’intégration de la technologie numérique et l’utilisation de pratiques « intelligentes » dans tous les aspects de l’entreprise, comme, les technologies portables, les applications web, les réseaux sociaux, les téléphones intelligents, l’analytique et l’informatique en nuage. Dans le cas des entreprises plus sophistiquées, elle implique l’adoption de la robotique, l’internet des objets et l’intelligence artificielle.

Dans ce contexte, l’entreprise a besoin d’exploiter le potentiel de la numérisation, créer des structures organisationnelles flexibles, et stimuler une pensée interdisciplinaire parmi les employées[14]. La coopération sur l’ensemble de la chaîne de valeur augmente et permet aux entreprises de fournir des produits et services « plus individualisés » aux clients[15].

En étant un processus de « réinvention entrepreneuriale », la transformation numérique va au-delà d’une simple modernisation. Elle vise la création ou le renouvellement des processus opérationnels ainsi que de la culture et l’expérience client d’une entreprise. La liaison produits-services produite en réponse aux changements des pratiques commerciales et conditions du marché bouleverse les modèles d’affaires existants et encourage la compétitivité[16].

La connectivité qui l’accompagne offre de nouvelles possibilités pour innover, développer une vocation mondiale, s’ouvrir à l’horizon de la compétitivité, et tirer parti des plateformes numériques ainsi que des métadonnées ou données massives[17]. Elle représente :

  • Une transformation numérique dans toutes les branches de la structure de l’entreprise ;
  • Un savoir « intelligent » ;
  • Une production flexible et personnalisée ;
  • Une nouvelle étape dans l’organisation et contrôle de la chaîne de valeur industrielle ;
  • Un changement radical dans la culture des organisations, de la société, et des travailleurs.

b. L’économie du savoir

La meilleure façon d’accomplir une connaissance plus approfondie d’une économie et sa transformation est par l’étude des pratiques de production plus avancées’.[18]

À la fin du XIXe siècle, la manufacture industrialisée était la pratique de production la plus avancée. Pour Adam Smith et Karl Marx, elle était la « passerelle vers la connaissance économique de l’époque »[19]. Étant donné que la transformation numérique est la pratique la plus avancée au début du XXIe siècle, elle peut être considérée la source la plus utile pour comprendre la 4e révolution industrielle.

La préoccupation pour une croissance plus inclusive et durable est centrale. L’économie du savoir s’organise d’une façon très innovatrice dans le contexte d’Industrie 4.0, mais de grands défis de l’époque font en sorte qu’on y retrouve : la croissance des inégalités sociales et salariales, le confinement du savoir, et la faiblesse de la croissance économique. La connectivité facilite l’échange d’information ainsi que la production et la diffusion du savoir, mais les taux faibles de productivité et les inégalités croissantes caractérisent aussi la période en même temps.

Malgré les conséquences négatives identifiées au ‘niveau macro’, l’OCDE nous donne des indices positifs concernant les petites et moyennes entreprises. Cette organisation les identifie comme des acteurs d’innovation. Trois aspects intéressants que favorise leur capacité d’innover et suggère leur importance accrue sont : 

  • Les économies d’échelle deviennent plus réduites et elles ne sont plus une barrière à la participation des petites entreprises dans la recherche ;
  • Les économies plus avancées se tournent vers les compétences et les ressources du savoir local ;
  • Les réseaux et les infrastructures deviennent des piliers d’une économie dynamique.

Si la transformation numérique reste seulement avec les premières entreprises pionnières capables de l’adopter (« early adopters ») les inégalités déjà existant entre entreprises risquent de s’élargir encore davantage. Ceci s’explique par les difficultés d’accès aux compétences et ressources financières que les entreprises surtout les plus petites continuent à rencontrer. La surveillance des risques de la modernisation et le design des stratégies visant à les atténuer ne vont pas en contradiction avec l’ouverture des marchés et le progrès technologique.

  1. Cadre théorique : La révolution industrielle dans la théorie

Quelle approche théorique peut nous aider à identifier un processus de transformation équitable « de bas vers le haut »

Les révolutions industrielles sont des transformations sociotechniques[20] que suivent l’introduction d’une nouvelle technologie. Le processus d’adoption et diffusion de la nouvelle technologie s’accompagne des changements en profondeur dans les structures, la culture et les pratiques de la société. La frontière entre les concepts d’innovation sociale et d’innovation technique devient assez flue durant le processus de transformation. En effet, l’innovation social reste associée aux transformations qui ont une incidence sur les inégalités et le bien-être d’une société et elle aborde des problèmes « wicked » et complexes.

Les études de la transition analysent les problèmes complexes associés aux transformations sociétales et les expliquent suivant une perspective systémique. La « perspective multiniveaux » est l’un des cadres théoriques. Cette approche s’intéresse aux transitions durables et résilientes dans une société et  elle explique les synergies, la complexité et la résistance au changement qui se produit tout au long le processus de transformation. La source de la résistance se trouve dans les rigidités des normes économiques, sociales et culturelles ainsi que dans l’infrastructure et les cadres normatifs.

Donc, la transition est le résultat d’une interaction complexe et multidimensionnelle entre trois différents niveaux :  Macro, Méso et Micro. Malgré la résistance, des changements se produisent à l’intérieur de chaque niveau. Ils se renforcent les uns aux autres et donnent lieu aux différents « sentiers » (« pathways ») de transition. Geels identifie quatre « sentiers » de transition. À notre avis, Industry 4.0 suit un sentier de transition de « transformation » à cause de son caractère stable et progressif.

Dans le ‘sentier transformation’, la transition commence avec une perturbation ou un changement brusque et exogène dans le niveau « Macro », ou Contexte, produit par une crise économique, catastrophe ou innovation. La perturbation exerce une pression modérée sur les acteurs localisés dans les niveaux Méso et Micro. Les évènements qui suivent changent les règles, les domaines et les joueurs dans le « jeu » des interactions sociétales. Une fenêtre d’opportunité est créée, mais avant que les « niches innovatrices » du niveau Micro soient prêtes pour intervenir.

Dans le niveau « Méso », ou régime, se trouvent les sous-systèmes sociétaux qui élaborent les règles et pratiques dominantes. Dans le niveau « Micro », se trouvent les « niches », ou espaces libres d’incubation. Ils créent des pratiques innovatrices et radicales qui changent les relations sociales et donnent lieu à de nouvelles façons de faire, de savoir, de s’organiser et de s’encadrer.

Quand les niches (Micro) s’engagent, les mouvements sociaux réagissent et leurs pratiques apportent une « rétroaction » qui change les règles du régime (Méso). Les acteurs du ‘Régime’ utilisent leur capacité d’adaptation pour réorienter leur parcours à travers des rectifications cumulatives, des réorientations et la coopération étroite avec les niches d’innovation. La transformation technologique initiale est à l’origine de la transformation ainsi produite.

Figure 1: Sentier de transformation (Geels 2007, p. 407)

La figure 1 montre le processus de transformation et la façon comme les activités se structurent à travers le sentier ‘transformation’. Elle montre l’effet levier des pratiques locales (« Niche level ») et la perturbation au niveau Macro, sur le niveau Méso.

Le sentier de « transformation » semble expliquer les efforts de démocratisation numérique. En Europe, Avelino et al.[21] ainsi que Törnberg[22] utilisent le cadre de la « perspective multiniveaux » pour expliquer les mobilisations sociales, mais débattent la nature exogène des changements au niveau Macro. Avelino et Haxeltine[23] ajoutent les concepts de « discours » transformatif et « empowerment » dans leur analyse.

Industrie 4.0 est un changeur de jeu, car elle se présente comme un phénomène avec des implications socio-économiques, sociotechniques, et socioculturelles en interaction. Les réseaux, écosystèmes, et plateformes de connectivité (sous-systèmes d’innovation) se trouvent dans le niveau Méso et les entreprises transformatrices[24] dans le niveau Micro. Elles apportent des nouvelles pratiques et relations sociales.

Les entreprises communautaires

… avancer vers une ‘économie du savoir’ plus démocratique « est en partie une question de design technique » ainsi que l’affaire du pouvoir de « l’imagination individuelle et collective »… [25]

Développer le potentiel des entreprises communautaires pour le design et mise en place des nouvelles pratiques et des relations sociales dans une vision visant l’entrée de leurs communautés dans le ‘nouvel âge numérique’ c’est l’enjeu. La proximité des petites entreprises aux marchés et communautés locaux leur donne le potentiel d’entreprendre une transformation numérique plus démocratique. La condition fondamentale dans un tel processus est la mise en place des modèles et techniques qui prenent en compte le savoir qu’existe dans leurs communautés. Cette condition nous amène à continuer à explorer les concepts de « organisational readiness » et « social value alignement » entre les entreprises et leurs communautés développes par Marsan, Audebrant et al. [26].

Les bonnes stratégies de modernisation permettront ces entreprises d’aller au-delà d’une simple survivance vers une transformation ; donc, à se positionner et positionner leurs communautés dans le contexte actuel afin qu’elles profitent du progrès technologique en même temps. Avancer vers une économie du savoir plus démocratique (ou réussir une démocratie numérique) « est en partie une question de design technique » tel que mentionné en haut. En guise de conclusion, nous considérons que confrontées au dilemme des potentiels et obstacles associés au savoir intelligent, les petites entreprises communautaires ont le choix de devenir stratégique et de développer des approches créatives. Cette option leur permettra de se préparer pour l’avenir et de contribuer à atténuer les inégalités.

En somme, une transformation numérique fondée sur la « connectivité » et l’introduction des technologies intelligentes peut aider les petites entreprises communautaires à augmenter leur compétitivité et à réussir une intégration durable et inclusive au niveau international, à condition que la mise en œuvre suive un processus inclusif des actifs locaux. L’entreprise que développe des modèles et pratiques durant cette transformation avec l’objectif de devenir compétitive en même temps que ‘porteuse de la voix’ et le bien-être de la communauté qu’elle représente, deviendra ainsi non seulement moderne, mais transformatrice.

L’entreprise sociale qui devient ainsi transformatrice est en voie d’atteindre de cette façon un niveau « d’efficience et de qualité » qui la définit comme professionnalisée[27] et capable d’utiliser des outils de gestion stratégique. « Plus une organisation aura recours à des outils de gestion stratégique, plus elle sera socialement efficace et considérée professionnalisée ».

[1] OCDE (2019), Perspectives de l’OCDE sur les PME et l’entrepreneuriat, Éditions OCDE, Paris, p.15 https://doi.org/10.1787/dfc3ab17-fr.

[2] Ministère de l’Économie de la Science et de l’innovation (MESI) (2016) Plan d’action en économie numérique. Feuille de route. Industrie 4.0. Octobre www.economie.gouv.qc.ca

[3] Buhr, Daniel (2017) Une politique d’innovation sociale pour l’industrie 4.0. Project of the Friedrich Ebert Stiftung. Germany. www.fes-2017plus.de Buhr 2017, p.15-16

[4]  Buhr, 2017, p. 15 et : Howaldt et al. 2008, p. 65 et Zapf 1989, p. 177

[5] Schröder, C. (2017) The Challenges of Industry 4.0 for Small and Medium-sized Enterprises. Germany www.fes-2017plus.de

[6] OECD (2021). The Digital Transformation of SMEs.

[7] OECD (2021) The Digital Transformation of SMEs, OECD Studies on SMEs and Entrepreneurship, OECD Publishing, Paris, https://doi.org/10.1787/bdb9256a-en

[8] Schwab, Klaus (2016) The Fourth Industrial Revolution: What it Means, How to Respond. 14 Jan. www.weforum.org/agenda/2016/01/the-fourth-industrial-revolution-what-it-means-and-how-to-respond

[9] Del Bel Belluz, Diana et Kabilan, Satyamoorthy (2019) Le risque du statu quo numérique. Comment les gouvernements peuvent -ils promouvoir la transformation numérique ? jeudi octobre 17. https://ppforum.ca/fr/publications/statu-quo-numerique/

[10] Mangabeira Unger (2019) The Knowledge Economy. Verso

[11] Financial Times. The Knowledge Economy by Robero Magabeira Unger. A Study on How to Remedy the Political Polarisation that Inequality has Brought. Review by Martin Sandbu. April 20, 2019

[12] Program on Science, Technology and society (2021) What is STS Harvard Kendy School. Harvard University. https://sts.hks.harvard.edu/about/whatissts.html. Retrieved May 2021

[13] Ministère de l’Économie de la Science et de l’innovation (MESI) (2016) Plan d’action en économie numérique. Feuille de route. Industrie 4.0. Octobre www.economie.gouv.qc.ca

[14] Schröder, C. (2017) The Challenges of Industry 4.0 for Small and Medium-sized Enterprises. Germany www.fes-2017plus.de

[15] Buhr 2017, p.10

[16] Buhr 2017, p.10

[17] OCDE 2019, p. 72.

[18] Mangabeira Unger, 2019, p.4

[19] Mangabeira Unger, 2019 p. 4

[20] Geels, Frank W. and Johan Schot (2007) Typology of sociotechnical transition pathways. Research Policy 36 (2007) 399–417

[21]Avelino, F., Wittmayer, J., Haxeltine, A., Kemp R., O’Riordan, T., Weaver, P., Loorbach, D. and J. Rotmans (2014) Game Changers and Transformative Social Innovation. The Case of the Economic Crisis and the New Economy. Rotterdam. TRANSIT Synthesis Workshop

[22] Törnberg, A. (2018) Combining transition studies and social movement theory: towards a new research agenda. Theory and Society, vol. 47: p. 381-408

[23] Haxeltine, A., Avelino, F., Wittmayer, J., Kemp, R., Weaver, P., Backhaus, J. and T. O’Riordan (2013) Transformative Social Innovation: A Sustainability Transitions Perspective on Social Innovation. London, UK. http://www.scribd.com/doc/191799102/Transformative-social-innovations-A-sustainability-transition-perspective-on-social-innovation

[24] Schoar, Antoinette (2010) The Divide between Subsistence and Transformational Entrepreneurship. Innovation Policy and the Economy, Volume 10. http://www.nber.org/books/lern09-1

[25] Mangabeire Unger, Roberto, Stanley, Isaac, Gabriel, Madeleine, Mulgan, Geoff (2019) Imagination Unleashed. Democratising the Knowledge Economy.  March. Nesta. www.nesta.org.uk p. 5 and p.55

[26] Marsan, Josianne, Audebrand, Luc K., Croteau, Anne-Marie & Magnin, Gabrielle (2017) Healthcare service innovation based on information technology: The role of social values alignment. Systèmes D’information et management N° 1 – Vol. 22

[27] Audebrand, L. et Myriam Michaud (2015) Les enjeux de la professionnalisation des entreprises d’économie sociale. Revue internationale de l’économie sociale, (338), 54–68. https://doi.org/10.7202/1033873ar. P.58.

Axes de recherche :
Gestion démocratique