Le modèle des fenêtres interprofessionnelles: un modèle inédit de pédagogie transdisciplinaire en sciences de la santé, basé sur la simulation

Auteur·e·s: Ilian Cruz-Panesso, Faculté de médecine, Centre d’Apprentissage des Attitudes et habiletés cliniques (CAAHC), Université de Montréal. Ilian.cruz.panesso@umontreal.ca
Louise-Andrée Brien, Faculté des sciences infirmières, Centre d’expertise en Simulation en Santé de la Faculté des sciences infirmières, Université de Montréal. louise-andree.brien@umontreal.ca
Pierre Drolet, Faculté de médecine, Centre d’Apprentissage des Attitudes et habiletés cliniques (CAAHC), Université de Montréal. pierre.drolet@umontreal.ca

Résumé : La formation interprofessionnelle en soins de santé est un aspect clé pour apprendre aux étudiants à communiquer et collaborer efficacement, ce qui améliore la sécurité des patients. Paradoxalement, les étudiants en soins de santé sont souvent formés dans un mode unidisciplinaire peu enclin à promouvoir la compréhension du rôle des autres intervenants. Les frontières professionnelles ainsi que les éléments partagés demeurent donc flous aux yeux des étudiants. Nous présentons ici un modèle pédagogique basé sur la simulation et qui vise l’acquisition de compétences attitudinales et émotionnelles telles que la confiance et l’empathie. Cette formation multidisciplinaire s’adresse conjointement aux étudiants en médecine et aux infirmières praticiennes spécialisées (IPS). Cette formule inédite, appelée « modèle des fenêtres interprofessionnelles » a été développée par le Centre d’Apprentissage des Attitudes et Habiletés cliniques de la Faculté de Médecine et le Centre d’Expertise en Simulation en Santé de la Faculté des Sciences infirmières de l’Université de Montréal.

Mots clés : simulation, transdisciplinaire, compétences attitudinales et émotionnelles, confiance, empathie 

Introduction

Les systèmes de santé sont intrinsèquement fragmentés. Ils regroupent des professionnels aux expertises et spécialités variées. Ces acteurs doivent collaborer afin de partager une compréhension globale de l’état de santé, des symptômes et de la pathologie propre à chaque patient. (Stange, 2009). Toutefois, la coordination des soins n’est pas une tâche facile et son inefficacité entraîne souvent des conséquences graves, parfois même létales pour les patients (Russ-Jara et collab., 2021).

En 2006, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a identifié la formation interprofessionnelle au premier cycle comme un élément clé nécessaire à l’optimisation de la communication et de la collaboration entre les futurs professionnels de la santé (World Health Organization, 2010). Selon l’OMS, la formation interprofessionnelle (FIP) se produit lorsque des étudiants émanant de deux professions ou plus apprennent les uns des autres en vue d’une collaboration efficace visant l’amélioration des résultats en matière de santé (Yan et collab., 2007).

La recherche dans le domaine de la FIP soutient l’idée que l’intégration précoce d’opportunités d’apprentissage partagées contribue à préparer ultérieurement les étudiants à une pratique collaborative (Kauff et collab., 2023; Margalit et collab., 2009). Cependant, la littérature demeure peu loquace quant à la manière d’intégrer les apprenants à la FIP ou sur les méthodes d’apprentissage à privilégier pour l’acquisition de compétences de nature interprofessionnelle (Aldriwesh et collab., 2022).

La FIP devrait exposer les apprenants à une variété de situations et de méthodes visant à les préparer à la complexité des tâches collaboratives (Barr, 1998). Néanmoins, en raison des nombreux défis énumérés brièvement dans la section suivante, la FIP est souvent intégrée de manière informelle, parfois imprévue, et généralement tardive à la formation clinique (Ahmady et collab., 2020).

Dans cet article, nous décrivons le développement et les concepts soutenant un modèle pédagogique interprofessionnel basé sur la simulation. Ce modèle, développé au sein de l’Université de Montréal, fait appel au concept de « fenêtres interprofessionnelles ». Il a été conçu et mis en place conjointement par les intervenants du Centre d’Apprentissage des Attitudes et Habiletés cliniques de la Faculté de Médecine et ceux du Centre d’Expertise en Simulation en Santé de la Faculté des Sciences infirmières.

Pour contextualiser le processus de développement de ce modèle, nous décrirons d’abord la manière avec laquelle la FIP est traditionnellement intégrée aux curriculums facultaires. Ensuite, nous identifierons pourquoi l’apprentissage par simulation peut être mis à profit dans le cadre de la FIP. Nous énumérerons aussi les étapes ayant mené à l’établissement d’un partenariat visant à élaborer un projet pilote commun aux deux facultés. Enfin, nous détaillerons les composantes cognitives et émotionnelles soutenant le « modèle des fenêtres interprofessionnelles ».

Les défis de la formation interprofessionnelle en sciences de la santé

Bien que les professionnels de la santé soient plus que jamais appelés à travailler en collaboration pour prodiguer des soins efficaces et sécuritaires, les étudiants des professions de la santé (infirmières, médecins, pharmaciens, etc.) ne reçoivent généralement qu’une formation essentiellement unidisciplinaire (Margalit et collab., 2009; McNair, 2005; Montgomery et collab., 2012). Une telle approche en silo contribue souvent à perpétuer les stéréotypes propres à chaque discipline (McNair, 2005). Il est alors irréaliste d’attendre d’étudiants venant de différents programmes qu’ils agissent de manière efficace au sein d’équipes de soins intégrées et interdépendantes (Margalit et collab., 2009, p. 165).

Adapter des programmes d’études traditionnellement unidisciplinaires afin d’inclure des activités interprofessionnelles n’est pas une tâche facile (Ahmady et collab., 2020). De nombreuses difficultés pédagogiques, logistiques, administratives et financières doivent être prises en compte (Ahmady et collab., 2020; Stumpf & Clark, 1999), notamment:

  • Le peu de familiarité des professeurs avec la FIP et, par conséquent, le manque d’enseignants compétents pour soutenir ce type de formation;
  • Les difficultés à trouver des horaires communs;
  • L’absence de stratégie permettant d’identifier le niveau des étudiants aptes à participer conjointement à la FIP;
  • Les défis logistiques liés aux espaces physiques nécessaires à l’accueil de grandes cohortes d’étudiants émanant de différents programmes;
  • Les implications financières et administratives des différents programmes ou facultés quant au partage des formateurs et formatrices et à l’attribution des crédits de cours.

Plusieurs défis liés à la protection du statut et de l’identité dans chaque profession, au contrôle du contenu et à la vision de l’enseignement collaboratif doivent aussi être pris en compte (Stumpf & Clark, 1999). Ces considérations, qui revêtent souvent un caractère politique, peuvent s’avérer difficiles à aborder de manière franche et ouverte.

Les défis varient en fonction de la manière dont les programmes liés à la santé sont organisés au sein des structures facultaires et universitaires. Par exemple, à l’Université de Montréal, la formation des médecins et celle des infirmières relèvent de deux facultés distinctes.

La simulation comme outil pour préparer les intervenants de la santé à la collaboration interprofessionnelle 

Une revue de la littérature réalisée en 2022 par Aldriwesh et ses collègues a mis en lumière les méthodes prédominantes destinées à l’apprentissage des compétences interprofessionnelles en sciences de la santé. Celles-ci incluent principalement l’entraînement par simulation, la formation en ligne et l’apprentissage par problème (APP). Nous nous concentrerons dans ici sur l’apprentissage par simulation.

La simulation est une stratégie d’apprentissage actif visant à susciter ou reproduire des aspects substantiels de la réalité clinique de manière interactive (Gaba, 2004). Elle peut impliquer la pratique d’un geste technique ou faire appel aux habiletés relationnelles dans le cadre d’un entretien avec un patient. Elle peut aussi faire appel à des scénarios complexes ciblant la réanimation de patients gravement malades. De tels scénarios peuvent recourir à des acteurs spécialement formés, également connus sous le vocable de patients simulés (PS), et/ou à des mannequins informatisés programmés pour réagir aux interventions des apprenants. Un scénario détaillé, aligné sur les objectifs d’apprentissage, guide alors le déroulement de la simulation.

L’apprentissage basé sur la simulation s’appuie sur les principes de l’apprentissage expérientiel (Kolb, 1984) dans lequel les apprenants traversent une « séquence d’apprentissage ». Cette séquence commence par une phase d’expérience concrète, où les apprenants participent activement au scénario de simulation. Elle est suivie d’une phase d’observation réflexive pendant laquelle on procède au débriefing de la simulation, lequel est guidé par des personnes expertes. Durant cette phase, les apprenants réfléchissent à leur performance et aux aspects qui l’ont influencée. Dans une troisième phase centrée sur la conceptualisation, les apprenants cherchent à donner un sens à l’activité en envisageant comment ils pourraient agir différemment dans une situation similaire. Enfin, les étudiants s’engagent à transférer les apprentissages acquis en simulation au milieu clinique. Il s’agit alors de la phase d’expérimentation active.

Les avantages de la simulation à titre de méthode de formation appliquée aux sciences de la santé sont décrits de manière exhaustive dans la littérature, particulièrement en ce qui concerne la sécurité des patients. En effet, la simulation permet d’améliorer les compétences des différents intervenants et ainsi réduire l’incidence des erreurs cliniques (Kiernan & Olsen, 2020). Elle s’avère particulièrement appropriée afin de familiariser les étudiants avec les principes de l’interdisciplinarité (Mahmood et collab., 2021; Martins & Pinho, 2020), laquelle repose sur l’apprentissage de la communication et de la collaboration interprofessionnelle (Aldriwesh et collab., 2022). Les simulations interprofessionnelles offrent aux apprenants une expérience partagée tout en les aidant à mieux comprendre les rôles et responsabilités propres à chaque discipline impliquée dans la prestation de soins (Xavier & Brown, 2023; Yu et al., 2020).

Il existe à l’Université de Montréal un programme longitudinal composé de trois cours de format traditionnel destinés aux étudiants des différentes disciplines de la santé. Ce programme a pour objectifs l’intégration et la collaboration interprofessionnelles (Vanier et collab., 2013). La démarche présentée ici est le fruit d’une initiative parallèle visant la conception et l’implémentation d’un modèle novateur destiné au développement d’activités interprofessionnelles basées sur la simulation.

Phases du développement d’une activité d’apprentissage basée sur la simulation par la Faculté de médecine et celle des Sciences infirmières 

  1. Une entente entre la Faculté de médecine et la Faculté des Sciences infirmières.

Un accord entre la Faculté de médecine et celle des Sciences infirmières a d’abord été conclu. Avec l’accord des doyens de deux facultés, les membres des équipes pédagogiques des centres de simulation de chaque unité ont été mandatés afin d’élaborer une activité interprofessionnelle basée sur la simulation. Cette activité était destinée aux apprenants du programme de maîtrise en sciences infirmières, option infirmière praticienne spécialisée (IPS) de la Faculté des Sciences infirmières, ainsi qu’aux étudiants de 4e année du premier cycle du programme de médecine de la Faculté de Médecine.

Il a été défini dès le début du processus que le contexte clinique du scénario visant la collaboration serait celui des Centres d’Hébergement de Soins de Longue Durée (CHSLD), où les IPS et les médecins partenaires collaborent à la détermination des niveaux d’interventions médicales (ou NIM) des patients.

Les niveaux d’intervention médicale (NIM)- niveaux de soins sont un outil de communication entre le patient ou le substitut-décideur, le médecin et l’équipe soignante qui désignent les préférences du patient concernant les investigations, les soins ou les traitements à recevoir. Ils sont souvent déterminés à l’occasion d’un épisode de soins pour les personnes ayant un état de santé susceptible de se dégrader de façon prévisible (Institut national d’excellence en santé et en services sociaux du Québec, 2015).

Chaque faculté a désigné un expert de contenu spécialisé et familier avec les soins prodigués en CHSDL. Des experts en pédagogie émanant des deux unités de simulation ont aussi été mandatés afin de participer au projet. L’élaboration des objectifs spécifiques et la conception des scénarios de simulation ont été effectuées conjointement par tous les intervenants.

  1. Identification des compétences de collaboration ciblées via l’activité de simulation.

Huit étapes ont été nécessaires à la conception de la formation par simulation dans le cadre de ce projet pilote:

  • Préalable : Consultation des cadres de compétences canadiens identifiant les collaborations interprofessionnelles en santé (Bainbridge et collab., 2010), ainsi que des référentiels de compétences des programmes des Facultés de Médecine et des Sciences infirmières.
  • Étape 1: Échanges entre les experts de contenu sur leur propre définition de l’interprofessionnalisme et sur l’ambiguïté des rôles propres et communs à chaque profession. Partage d’expériences qui pourraient inspirer les scénarios. Détermination des indicateurs de mesure permettant l’évaluation du projet pilote.
  • Étape 2 : Détermination des objectifs/intentions pédagogiques, développement des scénarios, planification des activités préparatoires et élaboration des questions pour le débriefing.
  • Étape 3 : Standardisation du matériel à distribuer aux étudiants et aux facilitateurs.
  • Étape 4 : Développement des activités préparatoires.
  • Étape 5 : Validation/révision des documents destinés aux étudiants et aux facilitateurs.
  • Étape 6 : Essai (test) mené une semaine avant l’implémentation du projet pilote avec des étudiants.
  • Étape 7 : Projet pilote avec des étudiants des deux facultés (un maximum de 20 étudiants/faculté était envisagé), les experts de contenu et les experts en simulation.
  • Étape 8 : Évaluation du projet pilote et rédaction d’un rapport.
  1. Une démarche inductive afin d’identifier les éléments devant être inclus dans une simulation interprofessionnelle

Lors du lancement du projet pilote, nous avons d’abord envisagé la création d’une simulation reposant sur l’interaction directe entre les étudiants des deux facultés. Cependant, dès la première étape de conception du projet, les échanges impliquant les experts de contenu ont permis d’identifier de nombreux obstacles liés aux préjugés relatifs aux deux professions ainsi qu’au niveau de confiance interdisciplinaire que les intervenants sont capables d’établir dans le cadre d’une collaboration. Nous avons donc identifié les attitudes et la confiance interprofessionnelles comme étant des éléments clés susceptibles d’influencer la définition des rôles propres à chaque professionnel. Ces éléments sont ainsi devenus les aspects qu’il est apparu crucial de prendre en compte dans la conception de la simulation.

Les caractéristiques de la relation interprofessionnelle entre médecins et IPS identifiées par les experts de contenu ont permis de mettre en lumière plusieurs défis et obstacles (intrinsèques et extrinsèques) à une collaboration effective:

  • Défis intrinsèques: confiance envers les individus et les groupes professionnels impliqués dans la collaboration; attitudes et valeurs professionnelles stéréotypées.

La nécessité d’établir une confiance mutuelle, idéalement implicite, a été évoquée dans les discussions. Il est rapidement apparu qu’une telle confiance serait au cœur d’une collaboration interprofessionnelle fructueuse. Dans cette perspective, les experts ont indiqué qu’il existait deux composantes essentielles à la confiance: la confiance envers l’autre profession de façon générale et celle envers l’individu avec lequel on interagit dans une situation et un contexte spécifique. Ils ont souligné que même si elle peut être attendue, la compétence qu’on peut anticiper de la part d’un autre professionnel n’est aucunement garantie. Conséquemment, la confiance qu’il est possible d’avoir ne peut être totalement générée de manière automatique. À cet égard, notons les citations des experts de contenu participant au projet : « La confiance et la compétence, ça se découvre » ; « Le degré de confort que chaque personne est capable de gérer, et la conscience qu’on en a, peut affecter la collaboration avec l’autre professionnel. »

De plus, les experts ont aussi souligné l’importance d’équilibrer la confiance envers l’autre professionnel face au respect de la loi. Ils ont souligné que dans certaines situations, juger de la compétence de l’autre entre parfois en conflit avec les lois établies ou avec le respect de la compétence légale de l’autre. À cet égard, l’un des experts a mentionné : « La collaboration c’est développer le lien de confiance dans le respect des lois. »

Un autre aspect ayant émergé de la discussion des experts de contenu, sur la manière de définir leurs rôles dans la collaboration IPS-médecin, concerne le type de relation qu’il convient d’établir avec le patient. La prémisse selon laquelle les médecins interviennent davantage de manière pharmacologique, tandis que les IPS utilisent plutôt une approche-conseil, a été évoquée lors des discussions. Ces affirmations ont cependant rapidement été nuancées. Les experts ont reconnu qu’il s’agissait de stéréotypes et ont convenu d’aborder cet aspect lors de la simulation.

Reconnaissant que la communication entre IPS et médecins partenaires est généralement réalisée, en CHSLD, via le dossier du patient ou par téléphone, il est apparu clair qu’il n’y avait pour ces deux professionnels que peu ou pas d’opportunités d’observer directement le travail de l’autre.

Outre les stéréotypes professionnels, les IPS ont également soulevé le fait que leur rôle est souvent confondu avec celui des infirmières généralistes, lesquelles sont aptes à prodiguer des soins infirmiers « traditionnels », sans tenir compte des huit activités additionnelles qu’elles sont aussi en mesure d’exercer (Ordre des infirmières et infirmiers du Québec, 2021). Ces activités incluent 1. diagnostiquer des maladies; 2. prescrire des examens diagnostiques; 3. utiliser des techniques diagnostiques invasives ou présentant des risques de préjudice ; 4. déterminer les traitements médicaux; 5. prescrire des médicaments et d’autres substances; 6. prescrire des traitements médicaux; 7. utiliser des techniques ou appliquer des traitements médicaux invasifs ou présentant des risques de préjudice ; 8. effectuer le suivi de grossesses.

Les discussions ont également souligné que le rôle de l’IPS est en constante évolution du point de vue pratique et juridique. Ceci contraste avec les médecins dont les responsabilités n’ont que peu changé au fil des années. Ainsi, les IPS sont souvent appelées à sensibiliser d’autres professionnels, et le grand public, à leurs rôles et responsabilités.

Nous avons donc été confrontés à la tâche complexe d’intégrer la notion de confiance au cœur d’une simulation interprofessionnelle en tenant compte du fait que (a) des aspects juridiques influencent la collaboration, (b) la collaboration ne se fait pas nécessairement de manière synchrone, les deux professionnels n’étant que rarement présents dans le même espace, et (c) les attitudes parmi les membres des autres professions pourraient être marquées par des définitions stéréotypées des différents rôles.

  1. Un modèle de simulation interprofessionnelle inédit

Afin de concilier tous les aspects émergeant de la discussion avec les experts de contenu, nous avons élaboré un modèle novateur que nous avons appelé « modèle des fenêtres interprofessionnelles ». Celui-ci propose des scénarios de type télésimulation, dans lesquels les apprenants sont amenés à intervenir en ligne, de façon synchrone, par le biais d’une plateforme de vidéoconférence (Cruz-Panesso et collab., 2022). Durant ce type de simulation, des apprenants issus de diverses professions sont conviés à interagir, en temps réel et de manière alternée, avec un PS dans un contexte de téléconsultation. L’objectif global des simulations conçues au moyen de ce modèle est de développer, définir, préciser ou valider de manière collaborative un plan de traitement en incluant le patient ou sa famille. Dans le cadre du projet pilote, le scénario visait, via une téléconsultation avec un proche, à déterminer le NIM d’un patient inapte nouvellement admis en CHSLD.

Le modèle des fenêtres interprofessionnelles repose sur la définition de la collaboration proposée par le Cadre des compétences canadien pour les collaborations interprofessionnelles en santé (Bainbridge et collab., 2010) soit: « un partenariat entre une équipe de prestataires de santé et un client dans une approche participative, collaborative et coordonnée de prise de décision partagée concernant les questions de santé et sociales. » (Bainbridge et collab., 2010, p. 8) La conception du modèle s’appuie aussi sur deux domaines de compétences décrits dans le Référentiel canadien de compétences pour les collaborations interprofessionnelles en santé, plus précisément la clarification des rôles et les soins centrés sur la personne, ses proches et la communauté. Les compétences recherchées et les objectifs d’apprentissage sont détaillés dans le tableau ci-dessous.

Tableau 1 : Compétences collaboratives abordées dans le modèle des fenêtres interprofessionnelles

COMPÉTENCES CIBLES D’APPRENTISSAGE DE L’APPRENANT
Clarification des rôles :

« Les apprenants et les professionnels comprennent leur propre rôle et celui des autres professionnels et mettent ce savoir à profit de manière à établir et à atteindre les objectifs de la personne, de ses proches et de la communauté » (Bainbridge et collab., 2010, p. 12)

1.   Décrire son propre rôle et celui des autres.
2.   Reconnaitre et respecter la diversité des autres rôles, des responsabilités et des compétences en matière de santé et de services sociaux.
3.   Assumer son propre rôle tout en respectant la culture d’autrui.
4.   Communiquer dans un langage approprié son rôle, son savoir, ses habiletés et ses attitudes.
5.   Tenir compte du rôle des autres pour définir son propre rôle professionnel et interprofessionnel.
Soins centrés sur la personne, ses proches et la communauté :

« Lorsqu’ils planifient et dispensent des soins et des services, les apprenants et les professionnels cherchent, intègrent et valorisent la contribution et la participation de la personne, de ses proches et de la communauté » (Bainbridge et collab., 2010, p. 13).

1.   Soutenir la participation des personnes, de leurs proches et de la communauté en tant que partenaires à part entière du personnel qui œuvre à la planification, à la mise en œuvre ainsi qu’à l’évaluation des soins ou des services.
2.   Partager l’information avec les personnes (ou les proches et la communauté) de façon respectueuse et de manière à ce qu’elle soit compréhensible, qu’elle encourage la discussion et qu’elle favorise la participation à la prise de décision.
3.   Écouter avec respect les besoins exprimés par toutes les parties concernées tout au long de la planification et de la prestation des soins ou des services.

 

Dans le cadre du projet pilote, il a été proposé de mettre sur pied une activité d’une durée de trois heures reposant sur deux scénarios de simulation. La collaboration entre IPS et médecin y est développée de manière asynchrone. Les scénarios incluent un PS jouant le rôle du fils d’un patient récemment admis dans un CHSLD avec un diagnostic de troubles neurodégénératifs pour lesquels le NIM doit être discuté et déterminé. Chaque professionnel est invité à rencontrer le même PS, bien qu’à des moments différents. Tandis qu’un professionnel intervient auprès du PS, l’autre professionnel est convié à observer l’interaction. Six étudiants en médecine de quatrième année et sept étudiantes du programme IPS ont participé au projet pilote.

Avant l’activité, les étudiants sont informés du contexte de leur rencontre avec le PS afin qu’ils aient le temps de préparer leurs interventions. Bien qu’un seul étudiant soit désigné afin d’interagir directement avec le PS dans chaque scénario, celui-ci a l’occasion de se préparer avec ses pairs avant d’intervenir. Pendant que le groupe représenté dans le scénario prépare son représentant à interagir avec le PS, l’autre groupe de professionnels est réuni dans une salle de discussion virtuelle avec la mission d’anticiper la forme que prendra la discussion entre l’apprenant et le PS. Du matériel préparatoire indiquant les aspects à considérer lors de l’établissement du NIM et la description du rôle des IPS par leur ordre professionnel est fourni à l’ensemble des étudiants.

Bien que la raison de la téléconsultation avec le PS soit initialement liée à l’établissement du NIM, le PS suit un scénario prédéterminé qui amène l’apprenant à clarifier son rôle, ainsi que celui de l’autre professionnel que le PS doit aussi rencontrer ultérieurement pour compléter le processus. Chacun des scénarios dure 30 minutes et est composé de quatre phases. La phase 1, d’une durée de 5 minutes, requiert des étudiants qu’ils initient la téléconsultation, se présentent et explorent le niveau de connaissances du PS concernant la gestion des soins. La phase 2, d’une durée maximale de 10 minutes, inclut l’explication des options de soins, la validation de celles-ci avec le PS et l’établissement de la nécessité d’intégrer l’autre professionnel dans la communication et les décisions. Dès que l’étudiant mentionne l’autre professionnel, le PS démarre la phase 3 de la simulation. Si l’étudiant ne mentionne pas l’autre intervenant, le PS le fait et incite l’étudiant à clarifier les contributions respectives attendues des deux professionnels. La phase 3, d’une durée maximale de 20 minutes, repose sur la clarification des rôles propres aux deux professions en matière de gestion des soins. Parmi les questions formulées par le PS lors de la phase 3, on retrouve:

  • Pourquoi devrais-je rencontrer l’autre professionnel ?
  • La rencontre avec l’autre professionnel vous oblige-t-elle à valider les informations que vous m’avez transmises, vous privant ainsi du pouvoir de décision ?
  • L’autre professionnel vous remplace-t-il ?
  • Si l’autre professionnel intervient, quel est alors votre rôle ?
  • Qui est en charge des décisions au quotidien ?
  • En cas de complication, qui est responsable des décisions prises ?

La quatrième phase, d’une durée maximale de 5 minutes, amène le PS à exprimer sa compréhension de la situation et à remercier le professionnel qui l’a rencontré. Ceci permet de clore adéquatement la simulation.

Les deux scénarios sont suivis d’une séance de débriefing commune animée par des formateurs des deux professions. Au cours du débriefing, les étudiants sont invités à définir leur propre rôle et celui de l’autre, en se basant sur leurs perceptions avant et après la simulation. Des questions dirigées liées aux compétences ciblées lors de la simulation ont été élaborées par les experts en simulation. Ces questions ont pour but de guider la réflexion des apprenants lors du débriefing. Celles-ci incluent:

La clarification des rôles 

  • Quelles sont les similitudes/différences entre vos deux professions ? (Cette question est discutée en petit groupe)
  • Quelles sont les connaissances/compétences uniques que chaque professionnel apporte à cette situation ? 
  • Quelles autres professions devraient être impliquées dans cette situation ? Qui manque et pourquoi ? 
  • Quel est le jargon spécifique à la discipline utilisé par les deux professionnels? 
  • Quelles sont les plus-values et les priorités que chaque professionnel apporte aux soins des personnes dans ce type de situation ? 
  • Comment négociez-vous le chevauchement des rôles entre les professions ? 
  • Quels stéréotypes peuvent être véhiculés sur votre profession et sur celle de l’autre intervenant? 

Les soins centrés sur le patient/la famille 

  • De votre point de vue, quels étaient les éléments d’information les plus importants dont le patient et la famille avaient besoin dans cette situation ? 
  • Si le point de vue de la famille avait changé entre les deux appels, comment auriez-vous géré la situation avec l’autre professionnel?  
  • Comment vous assurez-vous que l’information à la famille fait l’objet de concertation entre vos deux professions?

Le modèle des fenêtres interprofessionnelles se veut une approche basée sur la simulation afin de répondre aux problèmes liés à la méfiance interprofessionnelle et aux représentations stéréotypées, des éléments souvent négligés lors de l’apprentissage de la collaboration entre professionnels de santé (Gregory & Austin, 2016). Un tel modèle permet aux étudiants d’observer directement les actions posées par d’autres professionnels leur offrant ainsi l’opportunité de confirmer, infirmer ou découvrir le rôle de différents intervenants. Ce modèle offre ainsi une occasion unique de remettre en question les idées préconçues sur le rôle des autres professions, favorisant ainsi le développement de la confiance et de l’empathie nécessaires à une collaboration interprofessionnelle efficace.

Le modèle des fenêtres interprofessionnelles constitue un cadre conceptuel partagé qui n’est spécifique à aucune discipline, mais qui peut contribuer à construire une compréhension commune de la collaboration. Un tel modèle peut contribuer à promouvoir l’apprentissage transdisciplinaire (Soublis, 2017) puisqu’il implique des éléments de réflexion sur les antécédents émotionnels de la collaboration communs à l’ensemble des professions. Ces éléments, qui incluent notamment la confiance et l’empathie interprofessionnelle, sont alors susceptibles de promouvoir les attitudes nécessaires à la collaboration.

Conclusion

Ce projet pilote a permis aux étudiants et aux experts impliqués de poser un regard nouveau sur la collaboration interprofessionnelle. En proposant des scénarios consécutifs reproduisant de près la réalité quotidienne de deux professionnels, médecin et IPS, cette activité reposant sur la télésimulation aura permis l’ouverture d’une fenêtre sur le rôle de l’autre. Soulignons cependant que même si la simulation à distance reposant sur des technologies de télécommunication présente des avantages indéniables quant à l’accessibilité (McCoy et collab., 2019), l’efficacité d’une telle modalité d’apprentissage doit continuer de faire l’objet de recherches.

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a Faculté de médecine, Centre d’Apprentissage des Attitudes et habiletés cliniques (CAAHC), Université de Montréal.

b Faculté des sciences infirmières, Centre d’expertise en Simulation en Santé de la Faculté des sciences infirmières, Université de Montréal.