La valorisation monétaire des services écosystémiques, un avenir pour la conservation

Par Alexandre Michaud, bachelier en innovation sociale

En 2018, le gouvernement du Canada a publié son sixième rapport national à la convention sur la diversité biologique. Dans ce rapport, les autorités publiques déclarent que le Canada peine à remplir ses objectifs de protection de la biodiversité (Gouvernement du Canada 2020). Suivant cette réalisation, on peut se demander collectivement quelles innovations, quelles initiatives, sont nécessaires pour que notre nation atteigne ses objectifs de conservation d’une manière réaliste et rapide. Dans ce texte, nous désirons explorer une de ces innovations, soit la valorisation monétaire de la nature. Plus précisément, nous adresserons la question suivante: est-ce souhaitable de donner une valeur monétaire à la nature? Pour ce faire, nous commencerons par définir les notions d’écosystème et de services écosystémiques. Par la suite, nous explorerons les deux arguments principaux en faveur de la monétarisation de la nature. Nous expliquerons alors qu’une telle valorisation permet une meilleure prise de décisions de la part des consommateurs, des gouvernements, et des entreprises, en plus de faciliter la récolte de fonds par les organismes de conservation. En un troisième temps, nous décrirons deux arguments contre la monétarisation de la nature, l’un en provenance des adhérents de la protection durable, l’autre en provenance du courant éco-marxiste. Finalement, désirant affirmer la valeur des initiatives de monétarisation, nous détaillerons les failles de la protection durable et de l’éco-marxisme. Nous argumenterons alors que non seulement la valorisation monétaire de l’environnement renvoie à une réalité objective, mais que celle-ci permet une protection des écosystèmes plus efficace que la conservation classique. Dans une dernière section, nous expliquerons, à l’encontre des auteurs marxistes, comment le marché peut agir comme vecteur de justice écologique et sociale. 

Écosystèmes et services écosystémiques

Avant de commencer l’exploration des arguments contre et les arguments favorables à la valorisation monétaire de la nature, nous devons faire un bref exercice de conceptualisation et définir les notions de services écosystémiques et d’écosystèmes. Premièrement, les écosystèmes peuvent être définis comme un “ensemble dynamique de plantes, d’animaux, et de microorganismes avec leur environnement non-vivant, interagissant comme un système” (EPA 2009, 12). Secondement, les services écosystémiques sont simplement “les bénéfices que les humains obtiennent des écosystèmes” (Barbier et al. 2009, 248). Ces services peuvent alors être divisés en quatre catégories: (1) les services de provision (les ressources disponibles directement en nature, la nourriture, l’eau, les éléments biochimiques, etc.), (2) les services culturels (l’attachement au territoire), (3) les services de support (les processus naturels permettant l’existence des autres services, la photosynthèse, les cycle de l’eau), (4) les services de régulation (les processus de régulation climatique, hydrologique, et terrestre) (Barbier et al. 2009, 248)[1].

Les arguments principaux pour la monétarisation de la nature

Dans cette section, nous explorerons les deux arguments principaux en faveur de la valorisation monétaire des services écosystémiques. D’une part, nous affirmerons qu’une telle valorisation encourage des prises de décisions propice à la protection de l’environnement. Par l’incitatif de “prix”, les consommateurs, les firmes, et le gouvernement se trouvent à limiter leur impact écologique. D’autre part, nous affirmerons que la monétarisation de la nature peut servir grandement les intérêts de conservation. En effet, nous argumenterons que la valorisation des services écosystémiques peut être instrumentalisée par les acteurs locaux afin d’attirer des fonds privés et publics pour la conservation de leur environnement.

Prix, information, et processus décisionnel

L’un des arguments principaux en faveur de la valorisation monétaire de la nature souligne qu’une des raisons derrière la pollution et la destruction de l’environnement est notre incapacité de mettre un “prix” sur le capital naturel. En effet, plusieurs auteurs et auteures, tels que Teytelboym et al. vont signaler que pour plusieurs centaines d’années nous avons considéré que la nature est dénuée de valeur monétaire. Ces auteurs mentionnent que nous avons ignoré l’importance de valoriser concrètement la multiplicité des services écosystémiques auxquels nous sommes dépendants. En conséquence, le marché néglige ces services et les exploite sans prendre en compte les bénéfices importants qui en découlent (Teytelboym et al. 2018).

Généralement, les économistes vont être d’accord concernant l’importance fondamentale des prix. Les prix indiquent ce qui est important pour la société et les consommateurs, renseigne les entreprises sur l’usage des intrants dans les processus de production, et informent les investisseurs concernant la performance des firmes (McKitrick 2011, 51). Plus précisément, les prix permettent un usage efficient des ressources par la société dans son ensemble (Roberts 2007). Par exemple, lors de l’exploitation de ressources forestières, la fluctuation des prix encourage les entreprises à protéger leur source d’approvisionnement (Sohngen et al. 1999) (Kant 2010). En effet, lors d’une augmentation de la consommation, suivie d’une diminution des stocks, la hausse des prix encourage les entreprises à établir une réserve en prévision des fluctuations futures. Parallèlement, les consommateurs, face à l’augmentation des prix, vont diminué leur consommation et vont chercher, si possible, des substituts (Baumol et Stigler 2006). Ce double mouvement, dû essentiellement aux mécanismes de marché, encourage la conservation des ressources naturelles. Par contre, lorsque les prix sont absents, la conservation devient de plus en plus difficile. Lorsque les services écosystémiques sont considérés comme “gratuit”, ceux-ci sont consommés sans réserve, jusqu’à leur destruction. Dans ce cas, une valorisation monétaire de la nature aiderait les consommateurs et les producteurs à faire un usage modéré des différents services écosystémiques.

La valorisation monétaire de la nature, en plus d’améliorer le processus décisionnel des consommateurs et des firmes, permet un usage plus stratégique des ressources publiques. D’une part, la valorisation monétaire de la nature  permet aux autorités publiques d’évaluer le coût d’usage de certains services écosystémiques, et de développer en conséquence différents outils tels que des taxes et des standards d’exploitation afin d’en contrôler l’emploi. D’autre part, la valorisation monétaire de la nature permet d’évaluer la fluctuation de son “prix” à travers le temps, et ainsi déterminer quantitativement notre impact sur la nature. Cette évaluation permet aux autorités publiques de déterminer leurs priorités en termes de conservation et de diriger des fonds vers la protection de certains écosystèmes spécifiques. Par exemple, il fut estimé dans les dernières années que les forêts côtières en Thaïlande apportent une valeur annuelle de 4,2 millions de dollars en service de protection contre les tempêtes et inondations. Des estimations similaires ont encouragé les autorités de la Thaïlande, ainsi que plusieurs gouvernements de la région, tels que les gouvernements de la Malaisie et du Sri Lanka, d’investir dans la protection et l’extension des forêts côtières (Barbier et al. 2009, 258-259) (Barbier 2007). Cet exemple illustre de quelle manière la valorisation monétaire de la nature peut encourager les gouvernements à prendre des décisions favorisant la protection de l’environnement, et ce de manières raisonnés, de façon à maximiser le bien-être économique de la population.

La valorisation monétaire et l’avenir de la conservation

Le second argument principal en faveur de la valorisation monétaire de la nature est que celle-ci permet aux initiatives de conservation de mobiliser des fonds nécessaires à la protection de l’environnement. Afin d’illustrer ce point, nous présenterons un exemple récent, soit la protection des barrières de corail au Mexique. Il y a quelques années, la production d’études concernant la valeur monétaire du corail va engendrer une vague d’investissement pour des initiatives de conservation. Comme le souligne Martin (2018), les acteurs du milieu et le gouvernement vont réaliser que les barrières de corail agissent comme mécanisme de protection naturel contre les ouragans – en cas de tempête, le corail peut absorber jusqu’à 97% de l’impact des vagues (Martin 2018). Suite à un ouragan, les zones comportant une barrière de corail subissent donc beaucoup moins de dommages, ce qui permet de préserver les infrastructures touristiques et de nombreux emplois (pour un exemple de cas, voir PEC 1989). Suite à ces réalisations, le gouvernement, avec l’aide du secteur privé, va fonder le Coastal Zone Management Trust. Ce fonds, initié par des dons et des taxes en provenance de l’industrie touristique, renforce une politique d’assurance envers la barrière de corail. En cas de tempête, le corail se trouve donc assuré et des fonds sont dégagés afin d’en assurer la restauration (Martin 2018). Le 7 octobre 2020, suite au passage de l’ouragan Delta, la politique d’assurance fut activée – une brigade de protection fut déployée, 8000 fragments de corail furent plantés, et 800 000$ fut investi pour restaurer la barrière (The Nature Conservancy 2020).

Les critiques de la monétarisation : l’écologie profonde et l’éco-marxisme

Dans cette section, nous explorerons deux critiques fortes de la notion de capital naturel. D’une part, nous décrirons, à partir des écrits de Arne Naess, la critique philosophique et légale en provenance de l’écologie profonde. D’autre part, cette fois à partir des écrits de l’économiste Paul Burkett, nous décrirons la critique historique et économique en provenance de la tradition marxiste. 

Arne Naess et la protection durable

Dans son livre Écologie, communauté et style de vie, Arne Naess se demande si les défenseurs de l’écologie profonde doivent être en faveur ou s’opposer à une valorisation monétaire de la nature (Naess 2013, 202-209). Celui-ci offre alors une réponse claire pour ses lecteurs en affirmant que les outils quantitatifs de valorisation de la nature ne doivent pas être utilisés afin de décider des politiques publiques.

Afin de défendre sa position, Naess va proposer un argument essentiellement déontologique contre la valorisation monétaire des services écosystémiques. Il va donc affirmer que nous ne devons pas mettre un prix sur la nature puisque celle-ci a le droit fondamental d’être protégée. Tout comme nous ne pouvons pas mettre un prix sur la vie et l’intégrité des individus, ceux-ci possédant un droit humain à la santé et la liberté d’action, nous ne pouvons pas mettre un prix sur la nature (Naess 2013, 203). En avançant cet argument contre la valorisation monétaire de la nature, Naess souhaite construire une opposition solide à ce qu’il nomme l’écologie superficielle, soit le mouvement dominant de développement durable souhaitant protéger l’abondance des pays riches (Naess 2013, 58). Naess se positionne dans le camp de l’écologie profonde et défend un égalitarisme biosphérique. Pour lui, la nature a une valeur intrinsèque. Celle-ci doit alors être protégé par principe, peu importe les insistances de la modernisation et de la croissance économique. En opposition aux politique de développement durable, centrée sur des calculs de coût et bénéfices, Naess va proposer une protection durable (Naess 2013, 208-209). La protection durable défend que la nature a une valeur intrinsèque, et suggère de donner des droits aux écosystèmes. Suivant cette perspective, le développement doit être limité par une protection légale des espaces naturels (lac, forêt, rivières, etc.) qui, comme les humains, ont le droit à l’intégrité et à la vie.  

Au-delà de la protection durable, la critique eco-marxiste

Malgré son utilité apparente, certains auteurs et auteures vont être critiques de l’approche adoptée par Naess. C’est le cas, entre autres, des personnes associées au courant éco-marxiste. Ceux-ci vont affirmer que les théories et pratiques économiques ne doivent pas être comprises individuellement, en tant qu’entité culturelle, légale, ou philosophique. Celles-ci doivent plutôt être approchées comme des phénomènes historiques, ayant un rôle dans la reproduction de relations économiques spécifiques. Il en est ainsi puisque, selon Marx et Engels, tout élément idéologique n’est qu’un phénomène secondaire, portant racines dans une réalité matérielle historique[2]. En concordance avec la perspective marxiste, la valorisation monétaire de la nature est perçue comme un mécanisme participant à la reproduction historique du capitalisme. Selon l’économiste Paul Burkett, auteur du livre Marx and Nature (Burkett 1999), la monétarisation des services écosystémiques favorise l’aliénation des prolétaires[3], soit leur séparation vis-à-vis des moyens de production et leur environnement (Burkett 2006, 132). Tout comme la commodification des biens et services sépare le produit du producteur, la valorisation monétaire de la nature sépare le prolétaire, et plus largement la communauté, de son milieu de vie. Burkett nous invite donc à comprendre la notion de prix, ou de valeur d’échange comme une perte de contrôle et de pouvoir (Burkett 2006, 133-134). Lorsque l’on attribue un prix à un produit ou à la nature, ceux-ci sont intégrés à des calculs marchands, ce qui favorise l’intérêt des entrepreneurs souhaitant démontrer l’avantage d’un capitalisme vert. Par contre, tout cela se fait au dépend des communautés, qui se trouvent aliénées par rapport à leur environnement. Burkett positionne alors sa critique de la valorisation monétaire de la nature au sein d’une critique plus large du capitalisme et de la domination. Selon lui, on ne peut pas être en faveur de cette pratique puisque celle-ci nuit à la formation de relations égalitaires et démocratiques entre les humains.  Selon le cadre d’analyse eco-marxiste, la sauvegarde de la nature ne passe ni par la monétarisation, ni par la protection durable, mais plutôt par la formation de mouvement communautaire “oeuvrant pour la transformation radicale des relations de production traitant les humains et la nature comme une fin en soi, et non comme des instruments aliénés de la production et du profit” (Burkett 2006, 140) (voir aussi Valdis 2020).

Les failles de la protection durable et de l’éco-marxisme

Dans cette section, nous explorerons les failles de la protection durable et de l’éco-marxisme. Premièrement, nous expliquerons que l’argument déontologique de Naess n’élimine aucunement l’existence ou l’utilité de la valeur monétaire de la nature. Que nous le voulions ou non, peu importe nos croyances philosophiques, il existe une valeur monétaire associée aux services écosystémiques. Secondement, nous avancerons que la protection durable est une pratique à la fois conflictuelle et coûteuse, et qu’il serait préférable pour tous d’embrasser des solutions plus récentes en provenance des communautés et du marché. Finalement, nous reviendrons sur la thèse marxiste, et nous argumenterons que le marché peut être un instrument de justice sociale et écologique.

De l’argument déontologique au pragmatisme économique

L’argument central de Naess contre la monétarisation de la nature, soit l’argument déontologique, peut être résumé de la manière suivante: la valorisation monétaire de la nature n’est pas souhaitable puisque celle-ci cache la valeur intrinsèque des écosystèmes et nuit à la protection de ses droits fondamentaux. Face au déontologisme de Naess, nous proposons deux arguments en faveur de la valorisation monétaire des services écosystémiques. D’une part, nous désirons affirmer que la nature a toujours un “prix”. Sa valeur monétaire existe en tant que réalité objective, indépendamment de nos construits philosophiques, légaux, ou culturels – nous avons seulement le choix de la reconnaître ou de l’ignorer. Cela est dû à ce que l’économiste Edward B. Barbier nomme la rareté écosystémique (Barbier 2011, 7-8). La rareté écosystémique renvoie au fait que l’humain, afin de survivre et protéger sa qualité de vie, doit faire usage de la nature. Bien que cet usage rapporte des bénéfices économiques pour l’humain, celle-ci altère les écosystèmes, ce qui en retour contraint la disponibilité de leurs services et nos capacités de production. Suivant cette perspective, la nature peut être comprise comme un facteur de production, dont l’état détermine la disponibilité d’une multitude de biens et services, ainsi que leurs prix. Ainsi, “chaque amélioration de la qualité de l’environnement amène une amélioration des services écosystémiques, une réduction des coûts de production et des prix, une augmentation du nombre de biens et services offert, et probablement une augmentation du surplus des consommateurs et des producteurs” (Freeman 2003). En retour, cette incidence sur le bien-être des consommateurs et des producteurs va refléter la valeur monétaire des écosystèmes; une valeur qui semble, dans bien des cas, incontournable. Par exemple, au Costa Rica, la protection de la forêt tropicale amène de nombreux services écosystémiques, incluant l’offre de services de pollinisation aux agriculteurs locaux. Dans un article publié en 2004, Ricketts et al. vont explorer la valeur monétaire de ce service écosystémique en analysant son impact sur la production de café dans la région. Ces auteurs vont déterminer que les services de pollinisation en provenance de la forêt tropicale peuvent augmenter de 20% la productivité des fermes à proximité, et peuvent même diminuer le nombre de graines difformes par 27%. Généralement, la pollinisation contribue à 7% du revenus des fermes à café, ce qui équivaut à un montant de 62 000$ par année, par ferme (Ricketts et al. 2004). Ce cas illustre que les services écosystémiques possèdent une valeur monétaire objective résultant de la relation entre l’économie et la nature. L’humain est une partie intégrante des écosystèmes, et c’est pour cette raison que la destruction de la nature à un prix, et que sa protection à une valeur. Nous ne pouvons pas échapper à cette réalité, et le seul choix qui nous incombe est de nier cette valeur monétaire ou de l’accepter[4].

Choisir entre protection durable ou monétarisation

Notre second argument contre Naess est que la monétarisation de la nature est plus efficace que la protection durable. En d’autres termes, afin de protéger l’environnement, il vaut mieux affirmer la valeur monétaire de la nature que lui procurer des droits. Afin de démontrer la validité de notre argument, il faut commencer par adresser la question suivante: est-ce que la protection durable est efficace? Selon nous, la réponse est négative. En effet, les initiatives de conservation “classique”, visant l’attribution de droits à un espace naturel sont à la fois coûteuses et conflictuelles. D’une part, celles-ci peuvent générer des conflits entre la population locale et les technocrates du gouvernement. Entre autres, les mesures d’expropriations, la fermeture des zones protégées, et le manque de compensations, entraîne des disputes avec la population (Muhumuza et Balkwill 2013). D’autre part, la conservation “classique” est très coûteuse. On estime d’ailleurs que le coût pour conserver la biodiversité globale est de 76 milliards de dollars – juste au Québec, on investit des millions chaque année pour la conservation d’espaces naturels (Cressey 2012) (SÉPAQ 2019). Le problème ici n’est pas qu’il faut éviter d’investir dans la protection de la nature. Le problème est que les initiatives étatiques et légalistes ne sont pas nécessaires. La conservation pourrait tout autant passer par l’initiative des communautés et du marché, ce qui nous permettrait d’investir l’argent des contribuables dans des causes en demande de financement tels que l’éducation supérieure et la santé.

La valorisation monétaire de la nature, au contraire de la protection durable, peut engendrer une conservation de l’environnement à la fois volontaire et efficace. Comme le mentionne Andrew Mitchell, directeur du Global Canopy Program, “on coupe les arbres puisqu’ils ont plus de valeur au sol que debout”. La monétarisation de la nature change complètement cette perspective, et encourage les entreprises et les individus à investir directement dans la protection de l’environnement (Butler 2008). Par exemple, en 2015, fut formé un marché de l’armoise au Colorado. Suivant cette initiative, les entreprises privées exploitant les ressources du territoire peuvent acheter des “crédits” aux habitants, leur transférant de l’argent afin qu’ils protègent l’armoise sur leur propriété (Zaffos 2015). Cette initiative illustre comment la monétarisation de la nature permet une protection de l’environnement efficace et non conflictuelle. Non seulement les résultats sont les mêmes que la conservation “classique”, mais cette fois les initiatives émergent de manières volontaires. De plus, celles-ci transfèrent directement des ressources monétaires à la population au lieu de les exproprier ou de les taxer.

Le marché, un outil pour la justice environnementale 

Nous sommes d’accord avec les adhérents de l’éco-marxisme que le mode de production capitaliste est mauvais pour l’environnement. Les privilèges économiques et politiques caractéristiques de l’économie actuelle peuvent certainement mener à des abus destructifs pour la nature. Par exemple, l’apport du capitalisme dans la destruction de l’amazonie est indéniable. À chaque année, des grands propriétaires terriens abusent de leurs privilèges afin de mettre feu à des sections entières de la forêt tropicale (Fourth International on the Global Climate Strike 2019). Par contre, nous affirmons que le marché, en tant que mécanisme de coordination collective et de distribution des richesses, est un outil pour la justice sociale et environnementale. En effet, les dynamiques inhérentes d’un marché libéré[5] – soit d’un marché sans privilèges ou état nation – facilitent la diffusion des richesses, qu’elles soient monétaires ou matérielles. Il en est ainsi puisque les mécanismes de marché encouragent la décentralisation de la propriété sur une base individuelle ou collective, encouragent la formation de contrats volontaires fondées sur le bénéfice mutuel, et maintiennent des prix et des standards “justes” à travers la compétition (Chartier et Johnson 2011, 2-6). De plus, comme le démontre le philosophe canadien David Gauthier, la libre négociation entre des individus tend à mener vers des ententes minimisant les concessions des parties prenantes. Il en est ainsi puisque, dans une situation de libre entente, chaque individu doit contraindre sa liberté de manière à ne pas accepter une coopération inconditionnelle, et ne pas exiger trop des autres parties prenantes (Gauthier 1990, 180). De cette manière, la libre négociation doit viser un  “juste milieu” où personne n’exploite les autres ou est soit même exploité (Narveson 2016, 699). Dans ce contexte, la monétarisation de la nature à deux effets, soit (1) empêcher la concentration des ressources et services naturels, et (2) minimiser les externalités néfastes sur la nature jusqu’à un point consensuel.

Conclusion

Dans ce texte, nous avons présenté la valorisation monétaire des services écosystémiques comme un outil innovant et utile pour la protection de la nature. D’une part, nous avons exploré les arguments principaux en faveur de cette initiative. Nous avons expliqué qu’une telle valorisation permet une meilleure prise de décisions de la part des consommateurs, des gouvernements, et des entreprises, en plus de faciliter la récolte de fonds par les organismes de conservation. D’autre part, nous avons défendu la monétarisation de la nature contre le courant de la protection durable et contre l’éco-marxisme. Nous avons souligné que non seulement la valorisation monétaire de l’environnement est une réalité objective, mais que celle-ci permet une protection des écosystèmes plus efficace que la conservation classique. De plus, en opposition aux auteurs et auteures marxistes, nous avons affirmé l’utilité des mécanismes de marché dans la réalisation d’une société juste tant sur le plan social et écologique. En guise de conclusion, nous désirons maintenant mentionner que la valorisation monétaire de la nature n’est qu’un outil parmi tant d’autres. Nous devrions, dans d’autres textes, explorer comment cet outil peut complémenter d’autres initiatives, par exemple des entreprises de finance sociale, des mesures de comptabilité environnementale, et des projets émergent du mouvement de l’économie sociale.

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[1] La notion de service écosystémique est parfois synonyme de capital naturel. Par contre, cette autre notion inclut parfois une connotation économique, un processus de monétarisation des actifs naturels. Comme le mentionne Patrick Bresnihan, “l’emphase de l’approche du capital naturel se concentre sur attribuer une valeur économique à la nature” (Bresnihan 2017, 2).

[2] Faisant écho à cette avenu théorique, on peut lire dans la Critique de l’économie politique que “la somme des relation de production constitue la structure économique de la société, la véritable fondation sur laquelle s’élèvent les structures légales et politiques (…) le mode de production conditionne le social, le politique, et la vie intellectuelle” (Fried et Sanders 1964, 297)

[3] Marx et Engels définissent le prolétariat comme une classe de travailleurs “qui ne vivent qu’à la condition de trouver du travail et qui n’en trouvent que si leur travail accroît le capital” (Marx et Engel 1983, 36).

[4] Nous désirons ici affirmer que la nature à une valeur objective issue de la condition de rareté écosystémique. Néanmoins, nous ne désirons pas nier la valeur subjective accordée aux services écosystémiques. La valeur d’usage de la nature est certainement complexe, parfois quantifiable ou non. Par contre, tout en considérant cette caractéristique des services écosystémiques, nous pouvons toujours constater que la nature à continuellement un « prix », et que celui-ci devrait susciter une responsabilisation vis à vis de notre capital naturel.

[5] La notion de marché libéré renvoie à “un système économique marqué par des droits de propriété et l’échange volontaire de biens et services” (Chartier 2010), ou bien, “un espace visant l’expérimentation sociale consensuelle » (Johnson 2010, 62)

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