Approches transdisciplinaires du programme d’études en cultures numériques de l’Université de l’Ontario français

Autrice: Hela Zahar
Professeure agrégée et responsable du Pôle d’études et de recherche en cultures numériques, Université de l’Ontario français
hela.zahar@uontario.ca

Résumé :

La création d’un programme d’études des cultures numériques reflète l’importance qu’ont prise les technologies et les médias numériques dans nos sociétés contemporaines. Cet article présente les premiers résultats du développement du programme de baccalauréat spécialisé en études des cultures numériques, qui a démarré en septembre 2021 avec l’ouverture de l’Université de l’Ontario français (UOF) à Toronto (Adam 2021). Cette première université, entièrement francophone, en Ontario, se veut un pont entre la connaissance scientifique et la société afin de traiter des problèmes concrets issus du monde réel et non seulement des disciplines universitaires. Ce programme d’études trouve son ancrage dans les enjeux du numérique et vise à étudier les changements culturels engendrés par les technologies numériques. L’omniprésence des usages numériques actuels, autant sur le plan des pratiques que sur celui de la structuration des savoirs, nous confronte constamment à la question de concilier l’ancrage disciplinaire et l’ouverture transdisciplinaire (Bégin-Caouette et all, 2021). En se basant sur les échanges d’expériences et d’expertises acquises au sein de l’équipe professorale en cultures numériques, sur les enseignements des cours, sur les approches pédagogiques implantées dans le programme, cet article vise à soulever les défis inhérents à l’enseignement des cultures numériques et les solutions pédagogiques envisagées dans le cadre des orientations transdisciplinaires de cette nouvelle université. Cet article présente le contexte du programme d’études, le rationnel théorique de son approche pédagogique, et des situations-problèmes théoriques et pratiques proposées et réalisées dans le cadre des cours du programme.

Mots clés : Cultures numériques, transdisciplinarité, approche par problème, pédagogie par projets, Université de l’Ontario français.

Introduction

Les relations entre culture, technologies numériques et transformations sociales sont au centre de ce qu’il est maintenant convenu d’appeler les cultures numériques (Cardon, 2019; Miller, 2020). Cet article porte sur le contexte théorique et les approches pédagogiques qui accompagnent la mise en place du baccalauréat en études des cultures numériques à l’Université de l’Ontario français à Toronto[1]. La première partie de l’article décrit les caractéristiques du programme et le travail d’implantation et de mise en œuvre que devait relever l’équipe professorale. La seconde partie porte sur l’approche pédagogique développée dans le contexte d’une université dont la signature pédagogique se veut transdisciplinaire. Enfin la troisième et dernière partie situe le programme dans la scène universitaire transdisciplinaire qui entoure le programme d’études des cultures numériques.

Les cultures numériques : un programme d’études sur les enjeux numériques de la société

Le baccalauréat spécialisé en études des cultures numériques a été conçu avant l’ouverture de l’UOF par un comité d’expertes et d’experts provenant de plusieurs universités, institutions et entreprises. L’objectif du programme, comme mentionné dans la proposition au PEQAB, vise à développer,

[…] une connaissance factuelle à jour de l’environnement numérique et des interactions entre ses technologies, une compréhension des potentialités et des enjeux du numérique pour la société, la création, l’apprentissage, les communications, le civisme, le développement personnel et le développement durable, des compétences reliées à l’usage, la gestion et le développement du numérique et une posture réflexive et critique envers les technologies et les cultures numériques[2]. (2018, p.6)

Le programme inscrit dans le pôle d’études et de recherche en cultures numériques est d’une durée de quatre ans et comporte 120 crédits d’unités d’apprentissage, incluant un tronc commun transdisciplinaire, des cours de spécialisation (63 crédits) et des cours optionnels (18 crédits). Le programme comporte deux concentrations en 4e année : Stratégie de communication numérique et Production de contenus numériques. À partir de l’hiver 2021, l’UOF a engagé la responsable de pôle et d’autres professeur.e.s pour implanter le programme, développer les compétences du programme et la description détaillée de chaque cours.

Le travail de l’équipe professorale du pôle consistait donc à développer et à implanter ce programme original, et de le traduire en une expérience vivante répondant à la signature transdisciplinaire et expérientielle de l’UOF. Cette implantation devait se faire de façon dynamique en tenant compte de son ancrage dans le milieu francophone ontarien. L’UOF a ouvert ses portes en septembre 2021 et entame cette année (2023) la 3e année de la première cohorte d’étudiant.e.s.

L’étude des cultures numériques revêt plusieurs dimensions en passant par les réflexions pragmatiques et philosophiques sur le rythme de « l’évolution technologique » (Dascal, 2005), de la numérisation de la culture et de son traitement informatique en passant par le domaine des humanités numériques (Piotrowski, 2018), celui de la plateformisation de la culture (Vlassis, Rioux et Tchéhouali, 2020) et de l’étude de l’impact du numérique sur les médias (Baroni et Gunti, 2020).  L’arrivée des technologies numériques dans nos sociétés bouleverse ainsi notre rapport à l’information, à la politique, à la connaissance, à l’éthique, à tous les aspects en somme qui forment les objets d’étude des sciences humaines et sociales (Deuze, 2006; Cardon, 2019 ; Escande-Gauquié et Naivin, 2019). Plus encore, derrière le terme « numérique », auquel certains préféreront une terminologie plus spécifique renvoyant parfois à l’informatique, à Internet dans son ensemble, ou encore aux activités en ligne, l’étude des cultures numériques englobe non seulement des aspects techniques, mais également de nombreux enjeux touchant plusieurs disciplines dont il n’est pas toujours simple de définir les contours : par exemple, la citoyenneté numérique, la qualité de la communication à l’ère numérique, les impacts environnementaux des technologies numériques ou encore l’éthique en intelligence artificielle.

Dans un contexte d’implantation et d’harmonisation du programme, la richesse, l’étendue et la complexité des cultures numériques a amené l’équipe professorale à préciser le concept de « culture » en s’inspirant de la définition de Mitchell (dans Dikovitskaya, 2005) : 

La culture est la structure des symboles, des images et des médiations qui rendent une société possible. Ces deux concepts sont interreliés. On ne peut avoir une société sans culture et la culture est l’expression des relations sociales. La culture n’est toutefois pas la même chose que la société. La société se constitue de la relation entre les gens, la culture est l’ensemble des médiations qui rendent ces relations possibles ou (de façon aussi importante) impossibles. La culture visuelle est ce qui rend possible une société d’êtres humains dotés d’organes visuels. (W.J.T. Mitchell, cité dans Dikovitskaya, 2005, p.57).

L’équipe professorale a étendu cette définition aux cultures numériques grâce aux contributions de plusieurs autres chercheur.e.s. Selon cette perspective et en tenant compte du corpus du programme, les médias numériques se retrouvent ainsi au centre de l’interaction entre les technologies numériques, les artefacts culturels que sont les productions numériques et les relations sociales engendrées par la rencontre avec les médias numériques. Ces trois ensembles de concepts interagissent entre eux et s’influencent mutuellement, en donnant naissance à différents enjeux sociétaux (voir Figure 1).

Figure 1. Les cultures numériques – @ Hela Zahar, 2023.

L’emphase dans le programme a donc été mise sur les médiations, c’est-à-dire les médias numériques tant dans leur dimension technologique que dans les nouveaux artefacts culturels qu’ils permettent, mais aussi sur les enjeux soulevés par ces nouvelles médiations (comme la citoyenneté numérique, les impacts environnementaux des médias numériques ou encore la sécurité des données).

Les cours spécialisés du programme d’études en cultures numériques sont essentiellement composés de deux ensembles de cours (voir Figure 2) touchant à plusieurs disciplines dont la sociologie, la communication, l’informatique, la pédagogie, le droit, l’écologie, la politique, l’éthique, etc. :

  • Les cours portant sur les enjeux du numérique pour la société : la création, l’apprentissage, les communications, le civisme, le développement personnel, le développement durable et le développement de la posture réflexive et critique envers les technologies et les cultures numériques;
  • Les cours portant sur l’usage, la gestion, l’environnement numérique et les interactions entre ses technologies.

Figure 2. Tableau : quelques cours du programme d’études en cultures numériques – @ Hela Zahar, 2023.

La formation disciplinaire est indispensable au sein du programme en cultures numériques, mais l’intrication de différents domaines (environnement, éducation, communication, création, politique, économie, psychologie, etc.) au sein de plusieurs enjeux du numérique, et la collaboration entre les disciplines qu’elle implique suggère la mise en place d’une approche transdisciplinaire où les savoirs et les diverses pratiques se fécondent mutuellement.

Pédagogie et transdisciplinarité

Nous ne sommes pas étudiants de « sujets » [thématiques], mais étudiants de problèmes. Et les problèmes peuvent traverser les frontières de n’importe quel sujet ou discipline (Popper, 2014, traduction)[3].

La perspective théorique développée pour l’étude des cultures numériques permet l’harmonisation du programme en une vision intégrée des différents cours. Le problème se pose alors d’une approche pédagogique appropriée à l’acquisition des différents savoirs reliés aux cultures numériques. Le travail de conceptualisation des cultures numériques a permis à l’équipe professorale d’énoncer un ensemble de neuf compétences générales à acquérir dans le baccalauréat (voir Figure 3). À chaque première dispensation de cours, ces compétences générales sont traduites en compétences spécifiques pour ce cours. L’approche par compétences est le fondement sur lequel ont été construits les programmes d’enseignement de l’UOF. Comme le souligne Guillemette (2021), une approche par compétences appelle une pédagogie basée sur l’apprentissage expérientiel et la pratique guidée.

Figure 3. Les compétences générales du programme d’études en cultures numériques – @ Hela Zahar, 2023.

Cette approche pédagogique permet également de développer ces compétences dans une perspective transdisciplinaire et expérientielle. Comment envisager une approche combinée de savoirs théoriques et pratiques et surtout comment instaurer une approche pédagogique permettant à une clientèle étudiante de construire ces savoirs en évitant la segmentation disciplinaire? L’approche transdisciplinaire vise à répondre au contexte actuel des enjeux du numérique dans la vie de tous les jours, et cherche aussi à se mettre au diapason des besoins en main-d’œuvre et en compétences professionnelles requises en cultures numériques. En concordance avec la mission de l’UOF, le programme se veut un pont entre la formation et la société pour traiter à la fois des disciplines universitaires et des problèmes concrets du numérique issus du monde réel et répertoriés parfois dans des pages de médias[4].

L’approche par résolution de problèmes permet à une clientèle étudiante de construire des savoirs théoriques et pratiques transdisciplinaires. Une centration sur les problèmes permet à l’étudiant.e (avec l’aide de professeur.e.s) d’identifier progressivement les savoirs nécessaires à la résolution de ces problèmes. L’étudiant peut ainsi réaliser la pertinence de ces savoirs et un meilleur apprentissage des solutions à ces problèmes.

Comme le souligne Swann (2011), il existe deux types de problèmes : les problèmes de nature théorique et les problèmes de nature pratique. Les problèmes théoriques sont ceux pour lesquels la solution réside dans une théorie ou un ensemble de théories. Ces problèmes sont initiés par l’identification de faits à expliquer (explicandum) et la recherche d’explications de ces faits par la combinaison d’autres faits avec des énoncés théoriques (explicans). Les problèmes pratiques sont associés aux problèmes de nature technologique et prennent souvent la forme de questions du type : « Que dois-je faire pour arriver à produire tel ou tel résultat ? ». Leurs solutions sont en quelque sorte l’inverse des solutions aux problèmes théoriques, lesquelles utilisent des théories existantes en les combinant à des productions numériques spécifiques. L’utilisation de ces deux types de problèmes permet d’approcher progressivement les savoirs théoriques et pratiques du programme en évitant la segmentation disciplinaire tout en favorisant une recherche de solutions transdisciplinaires. Cet apprentissage par résolution de problèmes repose également sur une pédagogie expérientielle et la pratique guidée.

L’équipe professorale élabore ainsi une série de problèmes théoriques et pratiques pour chaque séance dans le plan de cours et pour chaque activité d’enseignement dans une séance. Les activités pédagogiques expérientielles sont mises en place et une pratique guidée permet à l’étudiant de se confronter à chacun de ces problèmes. L’apprentissage par résolution de problèmes est au cœur de ces stratégies pédagogiques et constitue le fondement du programme en cultures numériques pour développer une compréhension à la fois théorique et pratique des enjeux du numérique.

Démarche de situation-problème (théorique)

Les résultats des stratégies d’apprentissage, en ce qui concerne la planification des différentes activités et les plans de cours, sont organisés autour de l’approche par compétences. Les deux démarches présentées dans cet article sont l’aboutissement de la réflexion sur le programme, mais ils n’en constituent pas le point final. Ils sont intégrés à la démarche dynamique de mise en place du cheminement du programme, des cours, des activités et de la collaboration dynamique avec les professeur.e.s et les étudiant.e.s. Lors de la planification d’une activité pour la résolution d’un problème théorique, l’équipe professorale identifie des compétences spécifiques qui guident la planification de l’activité en une série d’actions qui se développent dans le temps. Selon Tardif (2017) une compétence est « de l’ordre de l’action ». Une présentation d’une situation problème-théorique est posée et invite l’étudiant.e à s’interroger sur son expérience et ses pratiques en lien avec le questionnement. Une fois que l’objet étudié coexiste et s’affine en même temps que le sujet (l‘étudiant.e) qui l’étudie, une série d’activités pédagogiques expérientielles (comme l’analyse de projets en lien avec le sujet, de témoignages d’intervenant.e.s-invité.e.s et de professionnel.le.s) sont mises en place afin que les étudiant.e.s se confrontent à chacun de ces problèmes et essayent de caractériser leur situation à celles appartenant à une famille des situations semblables à la leur ou à des situations actualisées (Guillemette 2021). Il est possible de demander aux étudiant.e.s de décrire la situation d’apprentissage, de présenter les enjeux abordés et d’expliquer leur processus de réflexion.

Des activités expérientielles appuyées par la pratique guidée visent à faire ressortir les multiples aspects reliés à différentes disciplines, en lien avec le problème et les savoirs théoriques nécessaires à une solution théorique intégrée. Les actions des étudiant.e.s sont des compétences observables qui favorisent des réflexions sur le problème. Il s’agit d’amener l’étudiant.e à s’intéresser collectivement à un problème réel, puis à mobiliser des ressources scientifiques issues de plusieurs disciplines professionnelles et, dans un contexte de démarche scientifique, afin de cerner le problème et d’y trouver une solution. Cela permet une appropriation des concepts et l’articulation d’une réflexion critique qui prend souvent la forme d’un texte rédigé par l’étudiant.e sur l’enjeu numérique. L’approche par problème permet ainsi l’acquisition des connaissances et des compétences construites dans l’action et mobilisant différentes ressources transdisciplinaires, ce qui favorise une compréhension en profondeur reliant l’enjeu numérique étudié et le sujet qui l’étudie (l’étudiant.e). 

Démarche de situation-problème (pratique)

Dans le contexte d’une situation-problème, l’équipe professorale élabore une série de problèmes pratiques liés souvent aux enjeux du numérique. Des activités pédagogiques expérientielles sont mises en place pour se confronter à chacun de ces problèmes. Les étudiant.e.s découvrent des problèmes et essayent d’articuler des solutions sous la forme d’une production numérique qui découle de leur mise en pratique (storytelling narratif, interactif ou immersif, application interactive, site web, blogue, podcast, etc.). Il s’agit dans ce contexte de développer des compétences issues du monde professionnel visé et d’inclure des apprentissages sur les processus d’usage et de gestion dans l’environnement de travail. La mise en commun de l’étude des problèmes théoriques avec la recherche de solutions pratiques donne souvent lieu à un projet qui s’échelonne tout au long du semestre d’un cours ou d’une partie du cours. Souvent l’étudiant.e est en situation de groupe et chacun.e a un rôle particulier. Chaque équipe planifie elle-même son projet et ses activités en respectant les objectifs de base du projet. Durant tout le processus les professeur.e.s offrent des ressources et des avis aux équipes d’étudiant.e.s . La performance des étudiant.e.s est souvent évaluée à la fin du semestre par les professeur.e.s et les professionnel.le.s du milieu. Des questionnaires d’auto-évaluation, des entretiens, des observations et autres méthodes d’évaluation font partie du processus d’apprentissage. Le travail coopératif au sein de l’équipe professeur.e.s-étudiant.e.s est au cœur de cette recherche-action participative (Kemmis & McTaggart, 2000).

Pour chacun des cours, une évaluation est faite sur la pertinence des problèmes théoriques ou pratiques choisis; des correctifs sont suggérés pour améliorer le cours et sa place dans le cheminement du programme. À la fin de chaque session, un questionnaire est proposé aux professeur.e.s afin d’évaluer le bilan global de la séquence des problèmes choisis dans les différents cours, la couverture appropriée des savoirs théoriques et pratiques développés, la dynamique collaborative, les résultats des compétences atteintes et les ajustements à apporter pour la prochaine session. Une évaluation du cheminement et de l’ensemble des cours est faite à la fin de chaque année et des ajustements sont proposés au niveau du cheminement et du contenu du programme. La méthode présentée dans cet article est l’aboutissement de cette démarche sur une période de deux ans (2021-2023) et cette méthode se poursuivra jusqu’à la sortie de la première cohorte du programme en 2025. Une évaluation globale sera alors faite pour proposer éventuellement des modifications plus importantes au cheminement et au contenu du programme.

Une scène universitaire transdisciplinaire

L’approche pédagogique du programme d’études en cultures numériques comporte également une dimension transdisciplinaire constituée par l’écosystème universitaire de l’UOF. Cet écosystème peut être considéré comme une scène culturelle (voir Figure 4) à l’intérieur de laquelle existent différents acteurs unis par des systèmes d’articulation (Straw, 1991; Zahar et Roberge, 2015; Zahar, 2022).

Figure 4. La scène universitaire transdisciplinaire de l’UOF – @ Hela Zahar, 2023

Ces acteurs sont :

  • Au niveau le plus global, l’espace numérique francophone et ses différents médias numériques;
  • À un niveau plus local, le Carrefour francophone des savoirs et de l’innovation constitué d’une quarantaine d’organismes francophones gravitant autour de l’UOF;
  • Les cinq pôles d’études et de recherche de l’UOF dont le Pôle en Cultures numériques et son laboratoire;
  • Les professeur.e.s, chercheur.e.s et étudiant.e.s;

Ces différents acteurs sont liés par plusieurs systèmes d’interaction et d’articulation (Straw, 1991; 2004) qui permettent des collaborations constantes, plus particulièrement la réalisation de projets transdisciplinaires en collaboration avec des milieux non-universitaires. Une scène culturelle, qu’elle soit musicale, visuelle ou universitaire se caractérise par son effervescence (sa surproduction culturelle) et c’est dans la chimie particulière de la rencontre de tous ces acteurs que réside cette effervescence. À l’UOF, nous cherchons à créer cette scène francophone et à la dynamiser. Le programme d’études et de recherche en cultures numériques fait partie de cette scène émergente et cherche à contribuer à son dynamisme. La transdisciplinarité vit ainsi de la diversité et de l’intégration continuelle de sa périphérie vers la centralité de l’UOF. Elle est ainsi présente à plusieurs niveaux qui interagissent continuellement entre eux (voir Figure 5).

Figure 5. Les niveaux de développement dynamique du programme d’études en cultures numériques – @ Hela Zahar, 2023.

Enthousiaste, l’équipe professorale invite des intervenant.e.s francophones du secteur du numérique dans les cours et des professeur.e.s des autres pôles d’études et de recherche à l’UOF. La préparation collaborative des séances de cours exige un effort d’adaptation qui se heurte parfois aux rigidités administratives, aux contraintes économiques, institutionnelles et à la culture d’un enseignement universitaire « un prof/un cours ». La signature de l’UOF[5] fait partie d’une réflexion plus large sur « l’Université du XXIe siècle »[6] et sur les innovations pédagogiques dans le monde de l’enseignement supérieur contemporain.

Dans ces conditions, les équipes professorales de l’UOF sont constamment confrontées à des défis de mise en œuvre transdisciplinaire. Comment adapter une jeune université francophone dans un contexte anglophone dominant en rendant ses programmes attractifs tout en attirant une clientèle étudiante francophone diversifiée ?  Comment donner  à ses  structures  et  à  ses  modes  de   fonctionnement l’indispensable souplesse,  l’agilité pour s’y adapter du mieux possible sans renoncer à sa mission fondamentale de formation et de  développement  des  connaissances  dans   chacune  des  grandes  disciplines  scientifiques  fondamentales?

Conclusion

La création de programmes universitaires innovants comme ceux de l’UOF permet de proposer des modèles pédagogiques reposant sur des conceptions de l’apprentissage différentes du modèle dominant « théorie de l’esprit-seau »[7] (Chitpin 2016). La recherche active de solutions théoriques et pratiques par l’étudiant.e favorise l’orientation de la formation universitaire vers les besoins de la société. C’est dans ce contexte que la création du Pôle d’études et de recherche en cultures numériques trouve tout son sens, dans la mesure où il devient un laboratoire vivant impliquant les entreprises, les organismes et les citoyens francophones dans une démarche d’enseignement et de recherche. L’étudiant.e devient ainsi partie prenante de la société en intégrant concrètement les enjeux abordés dans le programme et les défis que posent les cultures numériques dans la société. Il fait partie de cet enjeu, témoigne de son expérience et participe ainsi à la construction du savoir et à la résolution de problèmes multiples. De plus, un programme basé sur des enjeux pratiques permet de considérer chaque enjeu comme un objet de préoccupation sociétal et non plus seulement comme un domaine théorisé de manière distanciée par une discipline.

Bibliographie 

Adam D (2021), « Préface : contributions au développement d’une université du XXIe siècle », Enjeux et société, vol. 8, n° 2, p. 1–10. https://doi.org/10.7202/1078486ar

Baroni R & Gunti C (2020), « Avant-propos ». Dans Raphaël Baroni (dir.), Introduction à l’étude des cultures numériques: La transition numérique des médias, Paris, Armand Colin, p. 15-16. https://doi.org/10.3917/arco.baron.2020.01.0015

Bégin-Caouette O, Champagne-Poirier O, Loiola FA, Beaupré-Lavallée A & Paradis P (2021), « Faire face aux transformations dans l’enseignement supérieur: une conceptualisation des interactions entre différentes innovations pédagogiques », Enjeux et société, vol. 8, n° 2, p. 216–242. https://doi.org/10.7202/1078496a

Cardon D (2019), Culture numérique, Presses de Sciences Po, collection « Les petites humanités » https://doi.org/10.3917/scpo.cardo.2019.01

Chitpin S (2016), « Leading school improvement: using Popper’s theory of learning », Open Review of Educational Research, 3:1, p. 190-203.

DOI: 10.1080/23265507.2016.1217742

Dascal M (2005), « Culture numérique: Enjeux pragmatiques et philosophiques », Diogène, 211, p. 26-47. https://doi.org/10.3917/dio.211.0026

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Dikovitskaya M (2005), Visual culture: The study of the visual after the cultural turn, Cambridge, MA. The MIT Press.

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Kemmis S & McTaggart R (2000), Kemmis Stephen & Robin McTaggart,«  Participatory Action Research », p. 567-605 in Norman K. Denzin and Yvonne S. Lincoln, eds., The Handbook of Qualitative Research, Thousand Oaks, CA: Sage Publications, 2000.

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Miller V (2020), Understanding digital culture, Sage, p. 1-344.

Piotrowski M (2018a), “Digital humanities: An explication”, In M. Burghardt & C. Müller-Birn (Dir.), Proceedings of INF-DH 2018. https://doi.org/10.18420/infdh2018-07

Popper K (2014), Conjectures and refutations: The growth of scientific knowledge,Routledge.

Straw W (1991), « Systems of articulation, logics of change: communities and scenes in popular music », Cultural studies. Vol. 5, no3, p.368-388.

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Swann J (2011), Learning, teaching and education research in the 21st century: An evolutionary analysis of the role of teachers, Bloomsbury Publishing.

Tardif J (2017), « Des repères conceptuels à propos de la notion de compétence, de son

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Vlassis A, Rioux M, & Tchéhouali D (2020), « La culture à l’ère du numérique: plateformes, normes et politiques », Maison des Sciences de l’homme.

Viallon P & Trestini M (2019), Cultures numériques : des cultures paradoxales, p. 217, L’Harmattan.

Zahar H & Roberge J (2015) « La scène comme nouvelle culture visuelle : entre effervescence urbaine, visibilité et circulation des images numériques », Cahiers de recherche sociologique, n° 57, p. 115-131.

Zahar H (2022), « Arabic Calligraffiti: A Political Liminal Practice in Street Art’s Visual Scene », SAUC – Street Art and Urban Creativity, vol. 8, n °2, p. 61-72, https://doi.org/10.25765/sauc.v8i2.606

[1] Site web de l’Université de l’Ontario français (UOF), programmes de formation. https://uontario.ca/programmes-de-formation

[2] Commission d’évaluation de la qualité de l’éducation postsecondaire (PEQAB) Université de l’Ontario français (peqab.ca)

[3] Popper (2014): « We are not students of some subject matter, but students of problems. And problems may cut right across the borders of any subject matter or discipline. »

[4] Voir par exemple la page web « cultures numériques » du journal Le Devoir https://www.ledevoir.com/motcle/cultures-numeriques

[5] Site web de l’UOF : https://uontario.ca/pourquoi-choisir-luof/universite-innovante/la-signature-uof

[6] Voir Actes du colloque « L’université du XXIe siècle : enjeux, défis et prospectives » présenté dans le cadre du 87e Congrès de l’ACFAS tenu à l’Université du Québec en Outaouais en 2019. Cahier scientifique no 118 Collectif sous la direction de Denise Pérusse et Jean-Pierre Vidal avec la collaboration de Claude Corbo  https://numerique.banq.qc.ca/patrimoine/details/52327/4169996

[7] « Bucket theory of mind »