Guido Niyokwizigira, étudiant à la maîtrise en innovation sociale, Université Saint-Paul
Introduction
Au-delà des discours et des volontés des bailleurs des fonds ici et là, l’efficacité d’une évaluation de tout projet de développement communautaire devrait impérativement faire participer d’une manière maximale toutes les parties prenantes et en grande partie les bénéficiaires directs, hommes et femmes. Ce processus doit être fait plutôt dès la conception de chaque projet. Ce processus présenterait de multiples avantages sur les résultats de développement, mais se heurte aux multiples défis. L’objectif de cet article n’est pas de faire une comparaison avec les autres approches d’évaluation des projets existantes. Notre objectif est en effet de montrer les avantages, les défis ainsi que les bases à mettre en œuvre afin qu’une évaluation participative soit la plus efficace possible. L’article tente de montrer les bases théoriques à mettre en pratique pour qu’une participation des bénéficiaires puisse être le plus pratique et efficace dans les évaluations des projets au niveau communautaire.
Aperçu historique & évolution
Les évaluations des projets en général et des évaluations participatives ne datent pas d’hier. En effet, depuis la première décennie du XXIe siècle, nous assistons à l’émergence des évaluations participatives dans les projets et programmes de développement. Dans ses origines les plus lointaines, « l’évaluation participative puise ses racines dans les programmes de participation citoyenne qui ont émergé aux États-Unis dans les années 1960, ainsi que dans les programmes internationaux d’aide au développement mis en oeuvre dès le début des années 1970» (Plottu et Plottu, 2009). Au fur des années durant, des réflexions et publications autour de l’importance de la place des bénéficiaires des projets n’ont pas cessé d’émerger. Très récemment, dans les années 1990, les auteurs commençaient à mentionner que la planification et l’exécution des projets doit tenir compte des besoins des populations pauvres et surtout les personnes exclues et marginalisées (Blauert et al. 2004). Une lumière quant à l’incontournable place de la participation des bénéficiaires, et plus particulièrement les personnes marginalisées dans les évaluations des projets, commença à rayonner. Ainsi, il semble que l’efficacité d’un projet de développement doit impérativement miser sur la participation effective et inclusive de toutes les parties concernées et cela dans toutes les phases du projet. Actuellement, l’approche participative est l’une des composantes importantes dans la gestion axée sur les résultats (Affaires Mondiales Canada, 2016). Dans le cadre d’une approche participative, une entente mutuelle avec toutes les parties prenantes sur les techniques et les stratégies d’évaluation constituent un phare qui éclaire le chemin vers l’objectif escompté. (Affaires Mondiales Canada, 2016).
L’évaluation participative centrée sur les bénéficiaires, bien qu’elle soit une approche un peu jeune par rapport aux autres approches d’évaluation des projets existantes, devrait attirer l’attention des différents partenaires techniques et financiers au développement. Sa mise en œuvre effective permettrait d’améliorer le bien-être des populations récipiendaires des financements et plus particulièrement les personnes les plus vulnérables et les plus invisibles sur la scène des parties prenantes habituelles.
Définitions
De nos jours, il existe une myriade de termes autour du concept de l’approche participative. Ainsi, on parle notamment de: « stakeholder, approach beneficiary assessment and community assessment, auto-évaluation, évaluation de quatrième génération, évaluation centrée sur l’utilisation, realistic evaluation, évaluation démocratique, évaluation émancipatrice. » (Jacob et al., 2009). D’ores et déjà, une approche participative est une prise de responsabilité collective dans les toutes les décisions, ceci dans le but d’inverser les tendances et surtout mettre fin aux vieilles méthodes qui donnent le monopole aux intellectuels et professionnels de prendre des décisions à la place des bénéficiaires. (Affaires Mondiales Canada, 2016). Dans sa mise en pratique, il faut utiliser des méthodes adéquates, prévoir des budgets conséquents, mais aussi mettre en place une consultation continue avec les parties prenantes et cela jusqu’à la phase de l’évaluation finale du projet. (Affaires Mondiales Canada, 2016). Une fois les différentes parties prenantes incluses dans toutes les phases du projet, elles auront un autre aperçu non seulement aux défis qui les hantent mais aussi et surtout aux réelles solutions. C’est dans ce cadre qu’elles développeront d’autres compétences qui les leur permettront d’évaluer les projets exécutés ainsi que les améliorations nécessaires dans leur environnement. (Zombé, 2018).
Quant à l’OCDE, une évaluation participative est définie comme un processus dans lequel les bénéficiaires des projets identifient eux-mêmes leurs besoins spécifiques, les acteurs à mobiliser, les défis ainsi que les priorités à mettre en œuvre. (OCDE, 2000). Un accent particulier est mis sur l’identification et la classification collective des problèmes ainsi que des actions y relatives ce qui constitue en effet une étape très critique de réflexion exigeant une mobilisation intellectuelle, ce qu’on appelle « une première étape pour permettre au savoir local de renverser la tendance top-down de la plupart des initiatives de développement (Mohan et al., 2002). Du côté de l’amont de l’évaluation, la participation des bénéficiaires regorge d’autres atouts notamment l’identification ordonnée des impacts selon les points de vue spécifiques des bénéficiaires (Jacob et al. 2009). Les résultats de ce type d’évaluation reflètent absolument la vraie image des besoins des communautés et réponds même aux besoins spécifiques des populations cibles. (Gaunand et al., 2018). Ceci est d’autant plus vrai que dans le cadre de cette démarche d’évaluation participative, une entente solide entre les parties prenantes s’avère incontournable. Dans ce cadre, les autres auteurs mentionnent qu’« une démarche participative est un processus qui nécessite une bonne collaboration entre les évaluateurs professionnels, les individus, les groupes ou les communautés ayant un intérêt dans le programme ou l’entité évaluée» (Cousins et al.1998) traduisible dans mes mots comme. De surcroît, dans le cadre de la valorisation du changement dans les communautés, l’approche participative va au-delà du passage à l’action notamment en résolvant les conflits potentiels dans l’exécution des projets, la mise en pratique des décisions et conclusions relatives à la réussite du projet ainsi qu’une large diffusion des résultats (Jacob et al., 2009).
Objectifs d’une évaluation participative
Mise à part ces différentes définitions, l’évaluation participative répond à un certain nombre d’objectifs précis. Ainsi, il y a trois principaux objectifs notamment : 1) pragmatique, c’est-à-dire l’utilisation des résultats issus de l’évaluation ; 2) politique, c’est-à-dire asseoir une justice sociale par la participation des groupes opprimés ou marginalisés dans le processus évaluatif ; 3) et enfin épistémologique, c’est-à-dire la diversité des points de vue qui contribue à la conception de l’action communautaire (Zuniga et al., 2005). Un autre objectif de l’évaluation participative concerne la résolution pacifique des conflits ce qui influe positivement à la prise de décisions réfléchies, sûres et constructives. (Jacob et al., 2009). À la lumière de ces différentes définitions et objectifs d’une évaluation participative, celle d’Affaires Mondiales Canada est d’après moi celle qui englobe presque toutes les caractéristiques d’une approche participative :
« Cette participation, en plus d’allouer du temps approprié, de la bonne méthode et des ressources nécessaires pendant le cycle de vie du projet doit s’assurer que toutes les parties prenantes clés – y compris les intermédiaires et les bénéficiaires, hommes et femmes – ont l’occasion de participer et sont consultés tout au long du cycle de vie du projet : conception, planification, mise en œuvre, suivi et rapports » (Affaires Mondiales Canada, 2016: 26).
Par ailleurs, parler d’une approche participative revient à reconnaître la place prépondérante des membres des communautés dans le processus de résolution des défis leur concernant. Ceci est d’une importance capitale car seuls les membres des communautés sont les mieux placés pour non seulement exprimer leur problématique mais aussi et surtout donner de meilleures propositions quant aux solutions à apporter à leurs défis. (Zúñiga et al., 2005). Voilà ce que les bailleurs des fonds devraient garder à l’esprit avant de lancer les projets à caractère de développement communautaire.
Caractéristiques et différents niveaux de participation
La mise en place d’une approche évaluative participative est un travail souvent complexe étant donné son attachement important aux bénéficiaires directs des projets. Cette dernière en plus de ses caractéristiques spécifiques, se déroule selon des étapes précises notamment une phase de mobilisation et de conscientisation communautaire, une phase d’éducation et de réflexion ainsi qu’une phase d’encrage du leadership dans toutes les sphères de décision. (Bouard, et al., 2008).
En plus de ces étapes clés, Hanberger (2004) ajoute les caractéristiques d’une évaluation démocratique. Le tableau suivant présente les caractéristiques des trois formes d’évaluation démocratique selon Hanberger.
Tableau No. 1 : Caractéristiques des trois formes de l’évaluation démocratique selon Hanberger (2004: 13)
Orientation démocratique | Usage attendu/fonction | Objectif en matière d’évaluation | Inclusion | Dialogue | Discours délibératif | Rôle de l’évaluateur |
EDE – Pour la population | Contrôle | Productions et résultats attendus, accomplissement | Concepteurs de politiques et programmes | Pas important | Pas important | Expert |
EDP – Par la population | Autonomie, apprentissage | Développement, processus d’apprentissage et de progrès | Gestionnaires de programmes, Citoyens/clients | Très important | Très important | Avocat, facilitateur |
EDD – Avec la population | Savoir-faire, apprentissage, contrôle, débat public | Critères des parties prenantes, apprentissages, résultat | Tout groupe légitime | Très important | Très important | Médiateur conseiller |
EDE = Évaluation axée sur la démocratie élitiste, PDE= Évaluation axée sur la démocratie participative, DDE= Évaluation axée sur la démocratie discursive
Ce tableau fait ressortir trois formes d’évaluation avec des caractéristiques différentes. Ainsi, d’après Béatrice Plottu et Éric Plottu (2009), la forme de l’évaluation reposant sur une démocratie pour la population est celle où les citoyens sont de simples spectateurs et dont seul l’expert évaluateur connaît tout. Quant à la forme d’évaluation par la population, les citoyens ont désormais une liberté de proposer une forme d’évaluation avec l’appui d’un évaluateur formé. S’agissant enfin de l’évaluation avec la population, un dialogue est mis sur pied au sein de la population pour discuter, débattre et proposer la forme d’évaluation appropriée à leur contexte. Ici, l’évaluateur devient un médiateur, un facilitateur étant donné que l’objectif est ici de prioriser les besoins des communautés locales. (Béatrice et al., 2009: 13-14).
Cette approche nous amène finalement à inverser les approches actuelles d’évaluation, car désormais les populations prennent en main leur destin. Ceci corrobore par ailleurs avec la conscientisation communautaire, le développement des compétences et habilités techniques par les communautés à répondre efficacement aux défis quelle que soit leur nature (Bouard et al., 2009). Dans les projets de développement, cette légitimation sociale en plus qu’elle permet l’implication dans la prise de décision (Bouard et al., 2009), devrait guider tout concepteur de projet étant donné que les populations sont les meilleures personnes connaissant mieux quiconque leurs réalités ainsi que les actions susceptibles d’améliorer leur bien-être. (Zúñiga et al., 2005).
Différents niveaux de participation des bénéficiaires
Mise à part les caractéristiques et les étapes d’une évaluation participative, le niveau de participation des bénéficiaires constitue une base déterminante dans la réussite d’une évaluation participative. C’est dans ce cadre que nous montre une théorie de participation des citoyens, laquelle théorie vient compléter d’une manière pratique les différentes formes d’évaluation mentionnées précédemment.
Schéma N01 : Niveaux de participation des citoyens (Arnstein, 1969)
Types de participation et non-participation
Selon Sherry R. Arnstein (1969), les huit échelons de participation des citoyens peuvent être expliqués comme suit : Les échelons (1) Manipulation et (2) Thérapie montrent la situation où les professionnels et ou les détenteurs de pouvoir se considèrent comme étant les seuls possédant les connaissances tout en ignorant celles des participants. Les échelons (3) Information et (4) Consultation, progressent vers les niveaux de « tokenisme » où les populations peuvent exprimer leurs opinions et idées mais sans la possibilité de faire un suivi quant à la mise en œuvre de leurs propositions. Viens ensuite l’échellon (5) Placation qui donne le privilège aux décideurs de garder le monopole dans les décisions en excluant les populations. Enfin ce n’est qu’au niveau (6) Partenariat où finalement les populations peuvent négocier à part égale avec les pouvoirs sur leurs besoins ainsi que le suivi de l’exécution de leurs recommandations. Les niveaux (7) délégation de Pouvoir et (8) Contrôle des citoyens quant à eux montrent la situation où les citoyens sont majoritaires dans les décisions. (Arnstein, 1969). Afin que la participation puisse être effective et produire des résultats, il faut un renforcement des capacités des populations cibles afin qu’elles soient capables de s’exprimer avec clarté et objectivité (Séverine et al., 2009).
Cette théorie nous éclaire sur les discours et les différentes pratiques soient-disant participatives qu’on observe non seulement dans les activités de développement mais aussi dans les évaluations. Ainsi, il y a lieu de constater que c’est finalement le niveau de tokenisme qui est souvent emprunté quand on parle de participation des citoyens. Si on veut que la participation des membres communautaires dans les évaluations des projets soit maximale et effective, il semble que le niveau (6) partenariat est le meilleur pour concrétiser l’évaluation participative. Dans le même ordre de participation des communautés dans le processus d’évaluations des projets plus précisément la mise en pratique, il existe des échelles (Riddle, 2006) de référence dont il faut respecter. Le tableau suivant présente les échelles de participation dans le processus d’évaluation participative selon (Riddle, 2006).
Tableau No. 3 : Échelle des valeurs des cinq dimensions du processus de l’évaluation participative (source: Ridde, 2006: 5).
Dimensions du processus | Questionnement | Échelle | |
5 | 1 | ||
1.Contrôle des décisions techniques | Comment la répartition des décisions techniques liées au processus évaluatif est-elle effectuée ? | Parties prenantes | Évaluateur |
2.Diversité des parties prenantes participantes | Quelle est la diversité des participants permettant d’accroître la pluralité des perspectives ? | Variée | Limitée |
3. Relation de pouvoir entre les parties prenantes participantes | Quelle est la nature des relations de pouvoir entre les participants ? | Neutre | Conflictuelle |
4. Fluidité de la mise en œuvre de l’évaluation | Comment est caractérisée l’administration du processus évaluatif ? | Fluide | Rigide |
5. Profondeur de la participation | Quelle a été la profondeur de participation des non évaluateurs dans le processus? | Profonde | Consultation |
L’échelle de ces cinq dimensions du processus de l’évaluation participative de Riddle vient mettre en effet en évidence les aspects cruciaux sur lesquels il faut miser dans la mise en place d’une évaluation participative. Le respect de ces dimensions permet de mieux outiller les parties prenantes, et à favoriser « l’accroissement du pouvoir d’agir (empowerment) » (Riddle, 2006) des parties prenantes, dans une perspective de justice sociale. Ceci renforce par ailleurs l’engagement des parties prenantes dans les affaires leur concernant. Pour arriver à cet empowerment, il faut impliquer les bénéficiaires dans tout le cycle du projet car cela a un impact positif sur leur responsabilité vis-à-vis de l’exécution des projets (Mondjanagni, 1984: 166). Les lignes suivantes passent en revue deux exemples illustratifs de participation des bénéficiaires dans les projets leur concernant.
Cas illustratifs d’évaluation par les bénéficiaires
Dans les lignes précédentes, nous avons montré les différents niveaux de participation des bénéficiaires ainsi que les différentes échelles des dimensions du processus d’évaluation participative sur lesquelles il faut se référer dans le cadre de la mise en œuvre d’une évaluation participatives. Dans cette partie, nous présenterons deux cas d’illustration de participation des bénéficiaires. Ces exemples ont été tirés dans une étude réalisée par le Centre de Recherche pour le Développement International (CRDI, 2004).
a) Suivi-évaluation participatif par les communautés: expérience de l’Asociación de Cabildos Indígenas del Norte del Cauca, Colombie
Dans cette partie, nous verrons comment les membres des communautés se sont regroupés en association pour bien suivre toutes les actions relatives à leur développement. Cette association a vu le jour dans le cadre des politiques de décentralisation lancées dans les années 1990 par le gouvernement colombien. Par leur association, les membres des communautés sont très influents dans toutes les décisions politiques de leur région (Blauert et al., 2004). En effet, selon la recherche menée par le CRDI:
« En 1993, l’ACIN a lancé un processus participatif visant à formuler un plan de développement local pour chacun des cabildos. Un plan de développement de zone (province) a également été élaboré pour l’ensemble de la région avec un système de suivi-évaluation. Le système de suivi-évaluation porte sur tous les secteurs du développement (éducation, santé, ressources naturelles, économie et développement institutionnel) et les communautés définissent elles-mêmes les indicateurs pour le suivi-évaluation, en fonction de leurs propres conceptions du monde et de leurs pratiques culturelles » (Blauert, et al., 2004:152-153)
D’emblée, des conséquences positives de cette participation des communautés dans l’évaluation des projets leur concernant sont une réalité dans cette partie de la Colombie. Les membres de cette association sont très impliqués dans toutes les politiques et activités de développement et même leurs connaissances locales sont valorisées (Blauert et al., 2004). Les lignes ci-dessous présentent le cas d’un suivi-participatif en Équateur.
b) Suivi-évaluation participatif en Équateur : cas du Canton de Guamote
Dans cette étude de cas, ce sont les membres des communautés qui définissent eux-mêmes les indicateurs ainsi que le suivi dans le cadre des projets initiés dans leur communautés. Il s’agit du canton de Guamote situé en Equateur dans le centre-est de la province de Chimborazo, étudié dans une recherche menée par le Centre de Recherche pour le Développement International (CRDI) pour le suivi du reboisement local au Guomote en Équateur.
En effet, « des indicateurs ont à l’origine proposés par les membres du Comité de développement local de Guamote qui est responsable de la mise en œuvre du projet de reboisement. En plus, leurs propositions ont ensuite été discutées avec les promoteurs locaux, des organismes autochtones et les indicateurs ont été validés en étudiant les pratiques de la communauté en matière de conservation des ressources naturelles. (Blauert, et al., 2004: 176). Suite à cette implication dans la définition et au suivi des indicateurs par les communautés, toutes les affaires relatives au développement sont négociées équitablement et même toute la communauté est responsable de leurs mises en œuvre (Blauert et al.: 2004). Ces deux cas illustratifs de participation des bénéficiaires dans les évaluations viennent témoigner en effet les conséquences positives de la participation des populations au suivi et évaluation des projets dans leurs communautés. D’après ces recherches, il est louable de constater combien le fait d’ouvrir les portes aux bénéficiaires dans le suivi des projets leur concernant les poussent directement à s’impliquent activement dans les initiatives de développement.
Par ailleurs, que ce soit en Colombie ou en Équateur, les communautés prennent le devant dans les processus de mise en œuvre des projets notamment par le biais de la définition des indicateurs de suivi (Blauert et al., 2004) ce qui a contribué à accroître considérablement leur implication et détermination concernant les questions relatives à leur propre développement. Ceci vient illustrer en effet l’attribut de l’évaluation participative dans le renforcement communautaire, ce que Riddle appelle empowerment des parties prenantes (Riddle, 2006). Cet empowerment peut être défini comme « le processus par lequel le pouvoir est saisi, facilité ou développé » (Lee, 1990). De surcroît, ces exemples mettent en évidence le niveau considérable de « partenariat » (Arnstein, 1969) lequel est plus susceptible de mieux concrétiser l’évaluation participative. Enfin, on constate une grande conscientisation des membres des communautés, ce qui donne finalement plus de chance aux projets d’atteindre les résultats escomptés et plus d’impact dans les communautés (Jacob et al., 2009).
Avantages de l’approche participative
L’évaluation participative par les bénéficiaires regorge un nombre important d’atouts et cela en amont et aval, c’est-à-dire du côté des bénéficiaires des projets ou des bailleurs des fonds eux-mêmes. Ces avantages peuvent être groupés dans trois catégories complémentaires notamment la planification et la gestion des projets, la mesure de la contribution du projet, le dialogue et la valorisation des connaissances.
Planification et la gestion des projets
Parmi les premiers atouts d’une évaluation participative figure une bonne planification et un succès potentiel des projets. Une approche participative permet non seulement d’augmenter la probabilité des projets d’arriver aux objectifs définis (Affaires Mondiales Canada, 2016) mais aussi et surtout renforce les relations partenariales solides entre les organisations et les pouvoirs politiques (Blauert et al., 2004). Par ailleurs, elle permet de collecter plusieurs informations de sources diversifiées ce qui contribue à l’aboutissement des résultats plus crédibles (Jacob et al.2009).
Mesurer la contribution des projets
En plus d’améliorer la planification des projets, la participation des populations bénéficiaires et d’autres parties prenantes à un impact positif sur l’analyse des apports du projet. Elle permet finalement de démontrer l’efficacité des actions par rapport aux défis et cela par le biais des indicateurs identifiés par les bénéficiaires directs eux-mêmes (Jacob et al., 2009). L’évaluation participative instaure une culture de résultat basé sur le partenariat stratégique entre les pouvoirs publics, les organisations communautaires ainsi que les populations locales elles-mêmes. (Davoine et al., 2009).
Dialogue et valorisation des connaissances
Une fois mise sur pied, ce type d’évaluation crée un autre canal privilégié de communication communautaire. En effet, cette évaluation permet d’instaurer un cadre solide de concertation et de communication collectif et inclusif (Stève et al. 2009) au tour de toutes les questions relatives au bien-être des citoyen.nes. C’est par ce canal que toutes les idées confondues jaillissent (Stève et al. 2009) et enrichissent les actions à mener face aux défis, ce qu’on appelle « la démocratisation de la connaissance et des changements sociaux en faveur des plus pauvres et des personnes démunies. » (Stève et al., 2009: 71). Ceci permet finalement à toutes les parties prenantes au développement de communiquer efficacement au tour de tous les défis et solutions possibles (Turmel, 2012) ce qui risque d’augmenter le niveau d’appropriation des actions de développement au sein des communautés.
Défis de mise en œuvre d’une évaluation participative
L’évaluation participative, en dépit de ses atouts dans le développement, fait face aux multiples défis pour sa mise en œuvre. Ces défis peuvent être regroupés en trois niveaux selon leur importance. Il s’agit entre autres du niveau politique et structurel, le niveau culturel et financier, et enfin le défi méthodologique.
Obstacle politique et structurel
D’abord, la conception des outils d’évaluation par les bailleurs des fonds constitue le premier obstacle. Pérouse de Montclos constate que « d’une manière générale, le secteur non-lucratif est largement orienté par les souhaits de ses donateurs, plus que par les besoins des pauvres. » (Montclos, 2011 :4). Dans la plupart des cas, les critères d’aide au développement tiennent compte surtout de la disponibilité des fonds plutôt que les besoins des nécessiteux (Montclos, 2006). Cet auteur constate aussi que les organisations non gouvernementales et organisations internationales ne sont plus indépendantes dans leurs activités d’évaluation en raison des directives émanant de leurs bailleurs de fonds (Montclos, 2006). Finalement, ce processus d’évaluation en raison de sa structure occasionne des répercussions négatives sur les promoteurs de projets ainsi que la participation des populations bénéficiaires (Montclos, 2006).De plus, l’uniformité bureaucratique des rapports (Taylor et al., 2012) et la position dominante des autorités et bailleurs des fonds (Jacob et al. 2009) viennent enfoncer le clou dans le manque d’indépendance des organisations exécutant et évaluant les projets (Taylor et al. 2012). Il se pourrait que les processus d’évaluation actuels s’intéressent peu ou même rarement sur les transformations occasionnées par les activités des organismes. Ainsi, : « les procédures habituelles d’évaluation ne fournissent pas les données de suivi sur les projets clôturés mais au contraire elles sont orientées vers la légitimation du système d’aide que vers l’analyse des transformations enclenchées » (Sanchez, 2019). Le même auteur affirme que du moment que ce sont les organisations elles-mêmes responsables du recrutement de la majorité des évaluateurs, les rapports produits ne sont qu’un examen pour maximiser les chances d’accéder aux financements avec peu d’attention sur la qualité des activités réalisés à l’endroit des bénéficiaires (Sanchez, 2019).
Obstacles financiers et culturels
Un autre défi aussi important qui hante la mise en pratique de l’évaluation participative concerne la culture. La formation intellectuelle des évaluateurs dans des contextes culturellement différents de ceux des récipiendaires des financements est fort susceptible de nuire à l’ouverture et à l’implication de ces derniers dans le travail d’évaluation. (Stève et al.2009). Quant au niveau financier, la non mise en pratique de l’évaluation participative est souvent attribuée au budget lié à l’efficacité et l’efficience entre la participation et les résultats attendus (Plottu et al., 2009).
Obstacle méthodologique
Le dernier obstacle mais pas le moindre concerne la méthodologie à adopter pour mettre sur pied ce type d’évaluation. La mise en place d’une évaluation participative requiert une bonne méthodologie susceptible d’assurer un partenariat (Arnstein, 1969) et non une simple représentativité. Il faut bien s’assurer que les informations circulent aisément dans tous les niveaux de décision entre les différentes parties impliquées (Séverine et al., 2009). C’est pourquoi il est souhaitable de recourir aux différentes méthodes et techniques de participation dans le cadre de mise en œuvre de cette évaluation. Enfin et surtout, on devrait même garder à l’esprit la contextualisation de ces méthodes et techniques.
Conclusion
Le présent article est une contribution à une bonne compréhension d’une évaluation participative par les bénéficiaires ainsi que ses atouts indéniables en matière de développement. Il permet en effet de lancer les jalons de cette approche dans les pratiques actuelles d’évaluation, sinon d’améliorer celles existantes. A la lumière des cas illustratifs présentés dans cet article, il semble évident que sa mise en application effective dans les projets apporte des changements significatifs dans la vie des populations. Malgré les différents obstacles existants, et plus particulièrement les obstacles politiques et structurels, il faut constater que ces derniers ne sont pas insurmontables. Des recherches plus poussées devraient être entreprises pour pouvoir influencer, ou sinon changer les politiques de financement pour qu’enfin le citoyen le plus pauvre et vulnérable puisse avoir une place dans la gestion des problèmes qui le concernent par le truchement de l’évaluation participative. Ceci est d’autant plus vrai que : « l’usager est le seul qui, en définitive, peut juger de la qualité et de la pertinence du service qu’il a reçu » (Zúñiga et al., 2005).
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