L’engagement civique des femmes noires au Canada

Bibiane Wandji, étudiante à la maîtrise en innovation sociale, Université Saint-Paul

Dans le but de répondre aux exigences du programme de maîtrise en innovation sociale, les étudiant.e.s doivent faire un stage au cours duquel ils organisent une activité publique. Pour répondre à cette exigence, le 18 avril 2021, j’ai organisé une conférence dont le sujet portait sur l’engagement civique et politique des femmes noires au Canada. 

Cette activité avait pour but de nous permettre de réfléchir aux enjeux liés à l’engagement civique des femmes noires au Canada et de leurs contributions sur le plan politique et ce, en cherchant des solutions pour favoriser une meilleure représentation de celles-ci dans les divers paliers politiques. 

Nos panélistes:
Yvette Ashiri : Candidate au poste de conseillère municipale 2020, présidente nationale JCI 2021,
Renée-Chantal Belinga : Conseillère d’Arrondissement District Ovide Clermont, présidente de la Commission sur le développement social et la diversité montréalaise
Kareen Aristide : Spécialiste en développement personnel et santé mentale
Catia Céméus : Spécialiste en gestion et planification d’événements, présidente du Regroupement Affaires Femmes
Fanny Gaspard : Entrepreneure sociale

Au cours de cette rencontre qui a duré 1h et 30 minutes, les panélistes devaient répondre aux trois questions suivantes :
1- À votre avis, qu’est-ce qui explique ou justifie la sous-représentation des femmes noires en politique au Canada?
2- Quelles sont les conséquences de cette sous-représentation, ou alors quel impact cette sous-représentation pourrait avoir au niveau de l’inclusion socioéconomique de ces femmes ?
3- Comment corriger le tir pour une meilleure visibilité ou représentativité de ces femmes en politique ?

Nous avons commencé par un tour de table qui a permis à chacune des panélistes de se présenter brièvement. Une courte introduction a été faite par moi pour parler de l’objectif général au centre de la discussion. Ensuite j’ai donné la parole à la modératrice de la rencontre qui a pendant 1h et 10 animé la discussion. Les 20 dernières minutes ont été accordées aux invités qui ont pu poser des questions auxquelles nos panélistes ont répondu. La rencontre a été clôturée par un mot de fin du directeur du CRITS, Monsieur Jonathan Durand Folco. 

Mise en contexte

Dans nos démocraties modernes, la représentativité des femmes en politique est en-dessous de leur poids démographique, malgré le fait que certaines sociétés sont plus égalitaires que d’autres. Les raisons très souvent évoquées pour justifier cette situation sont entre autres : la socialisation différente des filles et des garçons; le partage inégal du travail domestique, l’organisation des partis politiques qui ne favorise pas l’engagement politique des femmes, l’écart considérable entre le budget alloué aux femmes et celui alloué des hommes pour soutenir leur candidature lors des campagnes politiques. 

Si nous prenons le cas de notre pays le Canada, bien qu’il soit un pays qui favorise des rapports hommes/femmes très égalitaires, il y a encore à faire au niveau de la représentativité des femmes en politique. Cette situation est encore plus préoccupante quand on s’intéresse particulièrement au cas des femmes noires qui depuis environ cinq cents ans sont pourtant actives sur le plan socioéconomique au Canada. Ces actrices de changement font un travail assez remarquable et contribuent au développement économique et social de la société canadienne.

Voici quelques exemples d’organisations et initiatives des groupes de femmes noires depuis les années 1600, dans le but de favoriser leur inclusion socioéconomique : (Page officielle gouvernement du Canada consultée le 19 Mai 2021, 16h 04)[1]

  • En 1600 : les sages-femmes des communautés africaines de la Nouvelle Écosse 
  • Le Provincial Freeman de l’Ontario a été cofondé par Mary Ann Shadd Cary, la première femme noire en Amérique du Nord et la première au Canada à devenir éditrice de journaux.
  • En 1912 Le Club des femmes de couleur de Montréal. 
  • En 1973 le Congrès des femmes noires du Canada.

En plus de ces réalisations qui ne sont pas des moindres, on peut également constater un éveil et une mobilisation des femmes noires pour faire reconnaître leur réalité et leurs différentes contributions au développement socio-économique du Canada malgré les défis auxquels elles font face dans leur parcours.  

Ces femmes pourtant bien engagées sur le plan économique et sur le plan social sont peu présentes, je dirais quasiment invisibles dans la sphère politique. Qu’est-ce qui peut bien expliquer leur sous-représentativité dans la sphère politique ? 

Pour avoir un début de réponse à cette interrogation, nos panélistes qui sont des femmes impliquées autant en politique que sur le plan économique et social nous ont partagé leur vécu, leurs impressions et leurs réflexions.

Première question : À votre avis, qu’est-ce qui explique ou justifie la sous-représentation des femmes noires en politique au Canada?

Les raisons évoquées par nos panélistes rejoignent pour la plupart celles évoquées plus haut, notamment :

  • L’organisation des partis politiques qui ne favorise pas les candidatures féminines en général. Et chez les femmes noires en particulier, ceci vient parfois avec des défis au sein du couple si le conjoint considère l’engagement politique de la conjointe comme une menace pour son autorité. Ici il y a des considérations culturelles qui entrent en ligne de compte surtout quand l’homme a évolué dans une société patriarcale.    
  • Le peu de soutien et d’engagement de la communauté : Bien que ces dernières années il y ait eu une certaine mobilisation au sein des communautés pour soutenir les candidatures des femmes noires, à différents paliers politiques beaucoup de sensibilisation reste à faire pour inciter les communautés noires à soutenir les candidatures des femmes noires.
  • Les attentes de la communauté qui diffèrent des lignes directrices des partis politiques : Pour les élues, l’un des défis rencontrés est celui de se faire comprendre par la communauté, surtout lorsque les attentes de celle-ci ne sont pas en adéquation avec celles du parti politique auquel on appartient.
  • Le sentiment de redevances à certains partis politiques ayant favorisé l’immigration de certaines familles dans le passé : Le fait d’appartenir ou de représenter un parti politique différent de celui qui a facilité l’immigration des parents ou grands-parents est très mal perçu dans certaines familles. Il est assez difficile d’expliquer au sein de la famille son choix d’appartenir à un parti politique différent, ce qui crée parfois des frictions familiales.
  • La difficulté à concilier la politique avec le travail et les responsabilités familiales, surtout quand on est immigrante et qu’il faut se battre pour avoir un travail décent, pouvoir payer ses factures et nourrir convenablement sa famille.  
  • Le peu de financement pour encourager des candidatures féminines est un des facteurs qui empêchent la plupart des femmes qui veulent se lancer en politique. 
  • Le manque d’espace dédié pour les discussions sécuritaires et ou d’organisation dédiée à encourager la candidature des femmes noires en politique. : Il y a donc un véritable travail de fond à faire pour briser certains mythes liés à l’engagement des femmes noires en politique; il faut déconstruire certaines barrières culturelles qui empêchent plusieurs d’entre elles d’exercer leurs droits.

Deuxième question : Quelles sont les conséquences de cette sous-représentation ou alors quel impact cette sous-représentation pourrait avoir au niveau de l’inclusion socioéconomique de ces femmes ?

La sous-représentation des femmes noires en politique a pour conséquence la non-participation à la prise des décisions politiques qui pourtant ont un impact sur leur inclusion socioéconomique. Elles sont absentes aux tables de décision et ne peuvent pas véritablement exprimer leurs idées, et elles ne peuvent pas apporter des propositions qui tiennent compte de leur réalité et qui répondent efficacement à leurs besoins et ceux de leurs communautés.

Troisième question : Comment corriger le tir pour une meilleure visibilité ou représentativité de ces femmes en politique ?

Pour corriger le tir, nos panélistes suggèrent une organisation plus flexible des partis politiques tenant compte de la réalité des femmes. Ensuite, il serait important que les budgets alloués pour soutenir les candidatures féminines soient revus afin que celles-ci ne soient pas davantage lésées. 

Au niveau de nos communautés, l’accent doit être mis sur l’éducation sur les questions politiques, des actions en vue de déconstruire les mythes reliés à la participation des femmes en politique. 

Aussi, il faudrait une grande sensibilisation des femmes noires sur l’importance d’exercer leur droit de vote et surtout d’apporter leur soutien à celles qui osent se lancer en politique. D’où l’importance d’avoir un espace sécuritaire, sans jugement, dédié à d’importantes discussions en lien avec la politique l’engagement civique des femmes noires au Canada. Il faut donc déconstruire les mythes reliés à la politique, se libérer de certaines barrières culturelles qui les empêchent d’exercer pleinement leurs droits et même d’oser se lancer en politique. 

Une séance de questions-réponses qui a duré 20 minutes a bouclé l’activité. Le thème abordé et les différentes questions posées lors de cette midi-conférence ont suscité un grand intérêt des femmes présentes comme panélistes et invitées, qui désirent renouveler cette expérience.

[1] https://www.canada.ca/fr/patrimoine-canadien/campagnes/mois-histoire-des-noirs/heritage-institutions.html

Axes de recherche :
Action sociale